Dans les pays dits de « vieille démocratie », il est rarissime que le conseiller du chef de l’Etat ou d’un ministre fasse des déclarations à « visage découvert » à la presse. La raison est simple: les membres d’un cabinet politique n’assument aucune responsabilité sur la marche des affaires publiques. Ils sont confinés à « travailler dans l’ombre » de leur « patron ». Cette tradition a été « bousculée » pour la première fois au lendemain de la prise du pouvoir par Laurent-Désiré Kabila. C’était en mai 1997. On a vu à maintes reprises le « dircab » du nouveau chef de l’Etat animé des points de presse. C’est le cas notamment d’Aubert Mukendi et de Yerodia Abdoulaye Ndombasi. Ce dernier fut un « vieux pote » du successeur du maréchal Mobutu. Après l’investiture de Felix Tshisekedi à la tête de l’Etat, le 24 janvier 2019, les Congolais ont découvert « les hommes » du nouveau président de la République. Vidiye Tshimanga Tshipanda en fait partie. Dans l’organigramme du cabinet présidentiel, il porte le titre de « conseiller spécial chargé des Questions stratégiques ». Outre cette casquette, « Vidiye » en porte trois autres. A savoir: président d’un parti politique (Dynamique Congolais Uni), administrateur directeur général d’une société minière et président du club de football kinois DCMP (Daring Club Motema Pembe). L’homme porte au total quatre casquettes. Dimanche 29 août, le « CS » Tshimanga a eu un entretien à bâtons rompus avec quatre journalistes de la diaspora congolaise de Belgique. Plusieurs sujets furent évoqués. Sans tabou. Ci-après, une synthèse des principaux thèmes.
« Questions stratégiques ». De passage à Bruxelles, le Conseiller spécial (CS) Vidiye Tshimanga – qui a vécu durant cinq ans en Belgique – ne se considère pas vraiment comme un « Congolais de la diaspora ». Invité à donner le « job description » du secteur dont il a la charge au cabinet présidentiel, « Vidiye » n’était pas loin de brandir le « secret d’Etat ». Il s’est contenté de dire qu’il « ne rend compte qu’au seul chef de l’Etat qui lui confie des dossiers ». Que dit-il des « informations » selon lesquelles, il ne ferait plus partie de l’entourage présidentiel? « Devrais-je publier des photos où l’on me voit en compagnie du président de la République?« , s’insurge-t-il avant de rappeler la « logique de l’acte contraire ». Selon lui, tant qu’il n’y aura pas une ordonnance présidentielle contraire, il sera toujours là.
Risque de conflits d’intérêts. Le conflit d’intérêt est défini dans les lexiques juridiques comme étant la « situation dans laquelle les intérêts propres d’une personne sont en contradiction avec la bonne réalisation de la mission qui lui a été confiée ». Président d’un parti politique, conseiller spécial du chef de l’Etat chargé des Questions stratégiques, administrateur directeur général d’une société minière et président d’un club de football. Ne redoute-t-il pas d’être confronté à un conflit d »intérêt? « J’ai évolué dans le secteur minier », admet-il en ajoutant qu’il s’est « mis en disponibilité » depuis qu’il œuvre au sein du cabinet présidentiel.
Humeur du moment. Les spécialistes en communication définissent ce concept comme un « état d’esprit qui anime les électeurs potentiels en période électorale ». A quelques 24 mois des consultations politiques du 2023, la grande majorité de la population ne fait plus mystère de sa colère face à la pénurie d’eau et d’électricité. « C’est pire qu’à l’époque de Joseph Kabila ». Que dit-il en entendant ce genre de réflexion? Pour « Vidiye », le travail que fait le président Felix Tshisekedi est comparable à celui d’un bâtisseur qui met en place les « fondations » d’un immeuble avant d’entamer les murs.
Priorités pour les 24 prochains mois. A en croire le conseiller spécial Tshimanga, la sécurité, la justice, l’éducation et l’emploi constituent les « priorités ». « Le Président a mis un point d’honneur pour édifier une justice juste et équitable pour tous », martèle-t-il. Selon lui, dans deux mois le gouvernement va réceptionner des « machines » destinées à fournir de l’eau courante à la population. D’après lui, l’objectif serait d’offrir ce service social de base à 87.000 villages. A la question de savoir si les « sauts de mouton » étaient une priorité, le locuteur n’a pas donné une réponse directe se contentant de dire: « Notre combat peut ne pas être compris. Nous en reparlerons lorsque vous verrez les résultats ».
Proposition de loi Tshiani. Ancien banquier, Noël Tshiani Mwadiamvita est l’initiateur d’un projet législatif qui vise d’une part à institutionnaliser l’irrévocabilité de la nationalité congolaise d’origine et d’autre part au « verrouillage » de certaines fonctions régaliennes au profit de seuls Congolais de père et de mère présumés loyaux vis-à-vis de la nation. Le projet a été adoubé par le député national Nsingi Pululu. Cette proposition de loi pourrait être débattu lors de la session parlementaire de septembre. Descendant d’un couple mixte, Vidiye Tshimanga estime qu’on ne doit pas « personnifier » ce texte à « X » ou « Y ». Parlons au nom de son parti, ce dernier dit haut et fort le mal qu’il pense de cette initiative. « Nous sommes contre, fait-il remarquer, parce qu’elle n’est pas opportune ». « A propos de loyauté, n’est-ce pas des Congolais de père de mère qui ont vendu et trahi jadis le pays? », s’est-il interrogé. Et de poursuivre: « Je n’ai pas souvenance que la société nationale d’électricité et la Regideso étaient dirigées par des étrangers ». Pour lui, il faut laisser les parlementaires mener un débat serein sur la question. Et que l’option qui sera adoptée puisse prendre en compte le « pour » et le « contre ».
Logique du « glissement »? Les huit confessions religieuses chargées de désigner le nouveau président de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) « sont d’accord sur leur désaccord ». Ils peinent à trouver le consensus autour d’un postulant. Les évêques catholiques (Cenco) et l’église protestante (ECC) ont sollicité l’implication du Président de la République. Une certaine opinion suspecte ce dernier de « laisser pourrir » la situation afin de préparer le glissement du calendrier. Un avis que le conseiller spécial Tshimanga balaie d’un revers de main: « Le chef de l’Etat ne prépare rien ». Et de tonner: « On ne peut pas militer pour l’indépendance de la Ceni et demander l’intervention du chef de l’Etat ». Pour lui, les élections coûteraient beaucoup moins si elles étaient organisées par le ministère de l’Intérieur.
Etat de siège. Proclamé depuis le 6 mai dernier, l’état de siège tarde à faire ses preuves. Quatre mois après, des sources avancent le chiffre de 500 personnes tuées. « Les tueries ont commencé à Beni en octobre 2014, ce n’est pas en un tournemain magique qu’on va trouver la solution ». Selon lui, l’insécurité au Nord-Kivu et en Ituri découle d’une part de l’exploitation anarchique de minerai et de l’autre, les « rebelles ougandais » dits « ADF ». Il lance: « Souffrez que nous mettions un peu plus de six mois pour résoudre ce problème ». Pour lui, l’état de siège a été proclamé « selon les règles de l’art ».
Tribalisme. Depuis l’accession de Felix Tshisekedi à la tête de l’Etat, on assiste à la montée en puissance du tribalisme. Après le clivage Est-Ouest, on devrait désormais ajouter le Centre. « Nous avons identifié la cause: manipulation politicienne, dit-il. Le tribalisme est utilisé à des fins politiques pour stigmatiser un pouvoir ». Le mauvais exemple ne viendrait-il pas d’en haut? « Le chef de l’Etat a composé son cabinet en y incluant des collaborateurs avec lesquels il avait l’habitude de travailler », commente-t-il sur la composition du cabinet présidentielle. « Le cabinet du chef de l’Etat n’est pas un cabinet kasaïen, c’est un cabinet national ». Que pourrait-il répondre à ceux qui disent qu’il y a trop de natifs du « Grand Kasaï » dans les Institutions? « Le président Felix Tshisekedi ne sera jamais l’instigateur du tribalisme. Il est le Président de tous les Congolais ».
Relations Congo-Kinshasa/Rwanda.vDes habitants du Nord-Kivu se plaignent de devoir emprunter les vols de la compagnie aérienne « Rwandair » pour se rendre à Goma. Leur souhait est de pouvoir voyager par une compagnie de droit congolais. Vidiye Tshimanga s’est aussitôt lancé dans une longue explication sur la détérioration des relations entre Kigali et Kinshasa. Selon lui, c’est le président LD Kabila qui a été le premier à « diaboliser » ses anciens alliés rwandais. Mzee était décidé à les voir quitter le Congo. Selon Tshimanga, le Rwandais fut désigné comme étant l’ennemi. « Depuis lors, nous sommes devenus très complexés vis-à-vis des Rwandais », note-il. Et de s’interroger: « Devons-nous franchement avoir peur du Rwanda? » Le conseiller spécial en Questions stratégiques de rappeler que « Fatshi » a choisi d’entretenir des « relations apaisées » avec les neuf voisins du Congo. Une certitude: les interventions rwandaises sur le sol congolais ont laissé des plaies psychologiques non-cicatrisées. Une frange de la population congolaise peine à comprendre la « précipitation » des autorités de Kinshasa à « embrasser » le maître de Kigali.
Extrait de l’interview réalisée, le 29 août, par
Mama Mimi (Radio Panik),
Pasteur Bobo Koyangbwa (MPBTV),
Fabien Kusuanika (Télé Tshangu) et
Baudouin Amba Wetshi (Congo Indépendant)