Presse kinoise: « Affaire » Tatiana Osango

Interpellée le mercredi 1er septembre, Tatiana Osango, animatrice du média en ligne « Reaco News », n’a pas encore été relaxée. Et ce, contrairement à une information parue le lendemain et relayée par certains organes de presse kinois. Un constat s’impose. Hormis le communiqué publié par l’association « Journaliste en danger », « Tatiana » a bénéficié jusqu’ici d’un « soutien sans enthousiasme ». C’est à croire que la « corporation » éprouverait une certaine « gêne » face au cas sous examen.

Jean-Marie Kassamba

Jean-Marie Kassamba

« Je ne suis pas le président qui protège ad vitam aeternam des gens qui ne comprennent pas le métier de journaliste ». L’homme qui parle s’appelle Jean-Marie Kassamba. Il s’agit du président de l’UNPC (Union nationale de la presse du Congo) pour la ville de Kinshasa. Le patron de Télé50 était interrogé le jeudi 2 septembre par un confrère. « Il faut se conformer aux normes », martelait-il.

Le sort de Tatiana Osango a ému de nombreux observateurs plus parce qu’il s’agit d’une « maman » que d’une journaliste. L’arrestation d’une femme n’a jamais été acceptée au Congo-Kinshasa. On l’a vu lors de l’interpellation, en novembre 2020, de la chanteuse Elisabeth Tshala Mwana. La suspension de la journaliste Paulette Kimuntu par son employeur « Congo Web » suite, semble-t-il, de « quelques mots de trop » n’avait pas manqué d’émouvoir l’opinion.

Mercredi 1er septembre, « Tatiana » a été interpellée en compagnie de son chauffeur. Tous les deux seraient « enfermés » dans un cachot de l’Agence nationale de renseignements (ANR). « Elle est arrêtée pour ses prises de position »; « Nous exigeons sa libération »; « On a agressé la liberté d’expression »; « On arrête des journalistes qui disent la vérité »; « C’est une violation de la liberté d’expression »; « Lors d’un voyage en Namibie, le président Felix Tshisekedi avait promis que tous les cachots de l’ANR allaient être fermés. C’est une promesse non-tenue » etc. Ce sont là les quelques « indignations » exprimées ici et là.

Jeudi 2 septembre, on apprenait que « Tatiana » était libre. Diffusée par la « Libre Afrique », cette « nouvelle » s’est révélée fausse. Par paresse, certains confrères kinois – présents pourtant sur le terrain – se sont contentés de relayer la « fausse information » venue de 8.000km. Dimanche 5 septembre, la dame Osango n’avait toujours pas retrouvé sa liberté locomotrice.

LA MARCHE DE LAMUKA DU 15 SEPTEMBRE

Que reproche-t-on à l’animatrice de « Reaco News »? Aucun confrère « indigné » n’a osé poser cette question cruciale. Les propos de Jean-Marie Kassamba cités précédemment répondent indirectement à cette interrogation. En visitant la dernière émission de « Tatiana », on comprend mieux la situation.

Il importe d’ouvrir une parenthèse. En juin dernier, le Parlement congolais adoptait la loi organique portant organisation et fonctionnement de la Commission électorale nationale indépendante. Promulgué en juillet par le Président de la République, ce texte fut « dénoncé » par les évêques catholiques (Cenco) et l’église protestante (ECC). Motif invoqué: le déséquilibre existant au niveau de la plénière de la Ceni entre la composante politique (10 membres) et la société civile (5 membres). Pour ces deux confessions religieuses, le risque serait grand que le nouveau cadre juridique ne favorise pas des élections libres, inclusives et transparentes en 2023. Un avis partagé par des partis d’opposition. C’est le cas notamment du PPRD, d’Ensemble et de Lamuka du duo Martin Fayulu et Adolphe Muzito. Depuis le mois de juillet, les confessions religieuses chargées de désigner le nouveau président de la Ceni peine à trouver le consensus autour d’un postulant. C’est dans cette ambiance déprimante que cette dernière plateforme a prévu une manifestation pour le 15 septembre prochain à l’occasion de la rentrée parlementaire. Fermons la parenthèse.

Martin Fayulu

OPERATION « KANGA DÉPUTÉ, BOMA DEPUTÉ »

Revenons à la toute dernière émission de Tatiana Osanga. La scène se passe dans le district kinois de la Tshangu qui regroupe les communes populeuses de Kimbanseke, Masina, Maluku et Ndjili. Ce district passe, à tort ou à raison, pour le fief du « président élu » Martin Fayulu. Micro-cravate de « Réaco News » accroché sur la chemise, des « fayulistes » sont chauffés à blanc en prévision de la marche du 15. Des déclarations belliqueuses sont lancées en lingala. « Nous allons tabasser des députés », lance un intervenant. « Nous avons capturé des Rwandais ici à Tshangu. Nous allons capturer des députés », enchaîne un autre. « Opération kanga député, boma député », conclut un autre qui tonne en lingala: « Le moment est venu pour chasser ce gouvernement des voleurs ». Une voix résonne: « Nous sommes devenus des esclaves. Tous les postes sont occupés par des Balubas ».

Bien qu’il ne fait pas toujours ce qu’il dit, Kassamba ne croyait pas si bien dire en confiant ces mots à Louis-France Kuzekisa: « le métier de journaliste n’est pas une foire ». « Regarder nos journalistes vivent de la flatterie en faisant l’éloge de certains leaders politiques », ajoutait-il. « On ne peut pas vivre du coupage. Il [le journaliste] doit avoir un revenu ».

L’article 23 de la Constitution congolaise reconnait à chaque citoyen le droit à la liberté d’expression. Le législateur a aussitôt mis cette faculté « sous réserve du respect de la loi, de l’ordre public et des bonnes mœurs ».

En se reportant à la déontologie, on ne pourrait s’empêcher de reprocher à Tatiana Osango d’avoir foulé aux pieds un des devoirs qui incombe au journaliste. Le devoir de « ne jamais confondre le métier de journaliste avec celui du publicitaire ou du propagandiste » (…).

En laissant les « invités » de son média lancer des appels au meurtre des députés – sans les recadrer -, « Mama Tatiana » a commis une faute professionnelle. Reste que tous ces faits n’autorisent nullement les « services » à maintenir l’animatrice de « Réaco News » en « garde à vue » au-delà des quarante-huit heures légales.

 

B.A.W.

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