Ce mois de septembre 2021 risque d’être incandescent en R.D. Congo. Deux enjeux politiques ayant comme soubassement les élections de 2023 sont à surveiller particulièrement: la désignation du président de la commission électorale nationale indépendante (CENI), et la marche programmée de Lamuka.
L’absence de désignation consensuelle par les huit confessions religieuses du principal animateur de la CENI n’est en réalité que la pointe de l’iceberg qui cacherait un problème diffus dans la culture congolaise: l’inféodation du tribalisme dans la politique. Ce phénomène n’est pas nouveau. En dépit des partis politiques, les gens identifient le pouvoir suprême sur base des origines ethniques du président de la République. Ainsi, entend-on dire du pouvoir de Bangala, de Baswahili et maintenant des Balubas ou des Kasaïens si on veut élargir le concept.
Ce jugement est ancré dans les mentalités suite notamment aux nominations, à tendance tribale, qui seraient faites dans les diverses institutions y compris dans l’Armée et dans les services de renseignement. Les régimes successifs, de Mobutu à Kabila père et fils, y ont laissé leurs marques. Puisque le pays était plongé dans la dictature, les gens ne pouvaient s’y opposer ouvertement ou s’en émouvoir outre mesure.
Aujourd’hui, certaines personnes décrient le tribalisme à « outrance » ignorant intentionnellement d’autres nominations où trônent les gens d’autres provenances ethniques. Ce jugement clivant doublé d’une suspicion au favoritisme ethnique inconditionnelle serait à la base du blocage politique actuel et source potentielle d’une déstabilisation aux dimensions inconnues.
En l’absence de consensus de toutes les confessions religieuses, le cas de Denis Kadima devient emblématique. En dépit des allégations des uns et des autres, il est indexé comme étant un « muluba ». Est-ce une tare? Doit-on tenir pour acquis qu’un membre d’une ethnie donnée favorisera nécessairement un autre membre de sa tribu? Où est passé l’éthique et le professionnalisme dans tout cela? Que deviennent les autres membres du bureau de la CENI et la volonté populaire exprimée dans les urnes? Le pays peut-il se tourner vers l’avenir en prospectant un changement de mentalités ou il faudra continuer à croire que les erreurs du passé sont insurmontables? Voici autant de questions que l’on pourrait se poser.
La résolution du cas Kadima constituera, sans doute, une jurisprudence dans les annales du pays. C’est véritablement une patate chaude. Les deux confessions majeures, les catholiques et les protestants n’ont pu s’aligner, malgré tout, sur la position des six autres confessions qui elles, sont restées fermes sur leur position. Les prescrits de leur charte, dans son article 17, stipulent que, n’advenant pas un consensus, c’est le vote qui les départage. Après plusieurs renvois, les six ont déposé leur procès-verbal à l’Assemblée nationale qui désignera, selon les normes en vigueur, le nom de l’élu.
Puisque le processus électoral doit procéder, au risque de provoquer le glissement tant redouté, le Président de la République va-t-il promulguer ou bloquer la décision qui lui sera soumise par l’Assemblée nationale? Si non, reniera-t-il les principes démocratiques qui sont le socle de son régime en ne tenant pas compte des voix exprimées par les six confessions religieuses qui sont aussi importantes que celles des deux autres confessions. Si oui, l’entériner ipso facto serait vu par l’opposition et par une certaine couche de la population comme souscrire au « schéma préorganisé » des fraudes électorales en sa faveur.
La situation est délicate et hautement sensible. D’autant plus que le présidium de Lamuka, par la voix d’Adolphe Muzito et de Martin Fayulu, a annoncé au cours de la conférence de presse animée le mardi 24 août à Kinshasa une marche de contestation. Celle-ci aura lieu le 15 septembre 2021 sur toute l’étendue du pays contre, selon leur qualificatif, les velléités dictatoriales du régime en place.
Le décor est donc planté pour un mois de septembre incandescent. Il reste à voir si dans l’entretemps le président recevra les éminences des deux confessions religieuses qui ont sollicité son arbitrage dans un dossier qui, curieusement, le concerne au plus haut point. Il reste aussi à voir si Lamuka saura démontrer, sur terrain, sa force de mobilisation. Enfin, quelle sera la réaction de la coalition au pouvoir, l’Union sacrée pour la Nation pour contrer l’action prônée par Lamuka?
Il sied de signaler que toutes ces manœuvres politiciennes ne sont pas sans conséquence sur le climat social de la population. Les extrémistes de tout bord en profitent pour jeter de l’huile sur le feu en entretenant un climat d’intimidation sous forme des diatribes haineuses contre les Kasaïens en particulier. Et de là à passer aux actes physiques, il n’y a qu’un pas.
Il est évident, pour la paix sociale et la stabilité des institutions du pays, que l’on ne doit pas en arriver là. Les dirigeants politiques devraient éviter la rhétorique flamboyante et du populisme à bon marché. Dans tous les cas, ils ont la lourde responsabilité d’apaiser le climat politique en ne mettant pas trop l’accent sur les appartenances tribales des uns et des autres, mais plutôt sur leur capacité à servir loyalement le pays.
Mwamba Tshibangu