Lors de la conférence animée, samedi 24 juillet, à Bruxelles, par Jean-Jacques Lumumba, le « lanceur d’alerte » Navy Malela Mawani était assis à la première rangée. Ancien auditeur à l’Afriland First Bank CD, « Navy » et son collègue Gradi Koko Lobanga ont été « condamnés à mort » en février dernier. Et ce pour « vol et falsification de documents » et « appartenance à un réseau criminel ». En fait, les deux banquiers ont divulgué des documents attestant des cas de détournements de deniers publics et blanchiment impliquant notamment l’homme d’affaires israélien Dan Gertler. INTERVIEW.
Vous avez été, jusqu’en 2018, auditeur à Afriland First Bank CD. Comment pourrait-on vous présenter aujourd’hui?
Aujourd’hui, j’éprouve moi-même du mal à me présenter.
On pourrait dire au moins que vous êtes un « lanceur d’alerte »…
Effectivement: lanceur d’alerte et banquier.
Continuez-vous à travailler dans le secteur bancaire?
C’est une référence pour moi.
Pourriez-vous rappeler les circonstances ayant conduit à votre « condamnation à mort » avec votre collègue Gradi Koko Lobanga?
Il est regrettable de constater que nous vivions dans un pays où les intérêts de certains individus passent avant l’intérêt général. Nous avons été désagréablement surpris de constater que le travail de dénonciation de détournement de deniers publics et blanchiment que nous avons accompli se retourne contre nous. Nous avons révélé les transactions bancaires d’une personne controversée, sanctionnée par le département du Trésor américain. Une personne qui ne pouvait plus faire des affaires en dollar américain. Cet individu « travaille » avec une catégorie de gens mal intentionnés dont certains responsables politico-administratifs de ce beau pays. Ceux-ci se sont associés pour ruiner la nation congolaise à travers l’exploitation frauduleuse de minerais et des hydrocarbures. Le travail que nous avons réalisé porte aujourd’hui ses fruits parce que si, on parlait jadis d’un certain « Monsieur » Gertler, aujourd’hui l’homme est perçu comme un « criminel économique ».
Vous semblez dire – avec votre collègue Gradi Koko – que Dan Gertler continue à bénéficier des « protections » en dépit du changement intervenu au sommet de l’Etat. C’est bien ça?
C’est l’impression que nous avons. Et pour cause, les lanceurs d’alerte que nous sommes devaient bénéficier de la protection de la puissance publique. Jean-Jacques Lumumba a dit dans son exposé qu’il n’y a pas de loi protégeant les lanceurs d’alerte. Alors que les actions que mènent ces derniers privilégient l’intérêt public. Comment peut-on protéger un « criminel économique » et jeter en pâture des citoyens qui ont dénoncer une « mafia » par patriotisme? C’est inadmissible! On ne peut pas rester indifférent devant cette situation. Au moment où nous parlons, sieur Gertler circule librement dans notre pays. Alors que nous ne pouvons remettre les pieds dans le pays de nos ancêtres.
Vous avez même été condamnés à mort…
C’est une situation qui nous laisse perplexe. Quelle est la logique de cette sentence? Elle se base sur quoi? C’est le lieu d’appeler le sens de responsabilité de nos autorités tant politiques, économiques que judiciaires. Comment peut-on condamner un citoyen pour avoir dénoncé des cas de détournements de deniers publics et de blanchiment d’argent en contournant les sanctions américaines? Et pourtant, il s’agit des manigances de nature à entraîner des conséquences fâcheuses sur l’économie du pays. Si notre pays était « indexé » et « isolé » par les correspondants, aucune activité économique et financière ne pourrait marcher au niveau des échanges internationaux. Cette condamnation à mort nous a laissés sans voix. On attend que des actions soient menées sur le terrain. Je vous informe que nous avons introduit une requête de prise à partie à l’encontre du juge qui avait prononcé ce jugement scandaleux et frauduleux. Nous en sommes encore là.
Quel a été le « raisonnement logique » mené par ce juge à l’appui de cette sentence?
Il est dit que nous avons volé des « documents secrets ». Nous apprendrons par la suite qu’il s’agissait des « documents falsifiés ». Plus étonnant, nous sommes accusés de faire partie d’un « réseau de criminels ». Quel est le crime que nous avons commis en dénonçant des malversations et des cas de blanchiment préjudiciables à notre pays?
Avez-vous été approchés par une quelconque autorité du pays?
Jusqu’aujourd’hui, non!
Quid des « services »?
Non plus! Ce désintérêt apparent nous incite à nous interroger tant sur la « force de pénétration » ou de « corruption » de Dan Gertler que sur la corruptibilité de « l’élite » congolaise. Des Congolais – je ne dirai pas de père et de mère (sourires) – qui vous livrent des informations pour protéger les intérêts de la nation congolaise. Au lieu de les protéger, vous les condamner à mort. Et personne ne réagit. C’est hallucinant!
Quel message pourriez-vous transmettre au Président de la République qui est le magistrat suprême du pays?
Au magistrat suprême du pays, nous lui demandons tout simplement – pour paraphraser Jean-Jacques Lumumba – d’agir. Nous attendons de sa part des actions concrètes.
Selon vous, il n’agit pas assez?
Il promet beaucoup mais agit moins. Si j’avais un conseil à prodiguer, je dirais au chef de l’Etat d’être « économe » de ses promesses. Il devrait laisser ses actions ou réalisations parler à sa place.
Concrètement, que devrait-il faire en ce qui vous concerne?
Nous attendons de lui d’ordonner l’annulation pure et simple de cette honteuse décision judiciaire. Une décision qui ternit davantage l’image de la justice congolaise. C’est un vrai paradoxe qu’un tel verdict intervienne au moment où Felix Tshisekedi Tshilombo – qui a érigé « l’Etat de droit » en crédo – se trouve à la tête du pays. C’est quasiment un affront à l’actuel chef de l’Etat.
Annulation ou réformation de cette décision judiciaire?
Nous demandons une annulation pure et simple. Pourquoi? Tout simplement parce que cette « condamnation à mort » a été obtenue dans des conditions frauduleuses. Tout est faux. Et ce aussi bien dans la forme que dans le fond.
Un exemple?
Un procès est une occasion pour les parties en conflit de confronter leurs prétentions. Quelqu’un pourrait-il citer le nom de la personne qui a représenté les accusés Navy Malela et Gradi Koko lors du procès? Personne!
Etes-vous en train de dire que vous n’avez jamais reçu de mandat de comparution?
Jamais!
Comment avez-vous appris votre condamnation?
Nous l’avons appris non seulement par la presse mais surtout par la bouche de l’avocat d’Afriland First Bank, Eric Moutet, à l’encontre duquel nous avons intenté un procès en diffamation devant la justice française. Cet avocat s’est permis de convoquer la presse pour annoncer cette « condamnation à mort ». Une condamnation frauduleuse qui a été dissimulée dans le but de la rendre « inattaquable » du fait d’une forclusion factice. Je ne doute pas que ces faits sont connus au niveau de la Présidence de la République.
Propos recueillis par Baudouin Amba Wetshi