Breveté d’état-major, spécialiste de la Logistique, formé en Belgique et aux Etats-Unis, ancien chef d’état-major de la Logistique dans les Forces armées zaïroises (FAZ), le colonel BEM Kadate Lekumu est ce qu’on peut appeler un « militaire professionnel ». Issu de la tribu Bowa ou Boa (Bas-Uélé), une des tribus guerrières du Congo-Kinshasa, le jeune Kadate est entré dans l’Armée nationale congolaise (ANC) en 1966. Il est issu – avec un certain Donatien Mahele – de la toute première promotion « Infanterie » formée à la Base de Kitona. Le hasard du destin a voulu qu’il se retrouva aux côtés du même Donatien Mahele Lieko, devenu chef d’état-major général des Faz, à Kisangani, alors Province Orientale. C’était lors de la « guerre de l’AFDL » (octobre 1996- mai1997). « La présence de Laurent-Désiré Kabila à la tête de l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo-Zaïre avait donné la fausse impression que l’AFDL était une rébellion congolaise. Nous avons découvert finalement que l’armée était commandée par des officiers rwandais, ougandais et burundais ». Naturalisé belge, le colonel Kadate vient de passer 31 mois de détention dans une prison angolaise dans l’enclave de Cabinda. Il s’y était rendu, dit-il, dans le but de s’entretenir avec les éléments ex-Faz ayant trouvé asile dans ce pays. Accusé de « menées subversives », il a subi, durant ce laps de temps, des traitements inhumains et dégradants. Au commencement était la très rocambolesque affaire dite du « Traité de Nice ». Interview.
Où étiez-vous le 17 mai 1997 lorsque les « troupes de l’AFDL » faisaient leur entrée à Kinshasa?
J’étais toujours dans la capitale. J’assumais encore les fonctions de commandement du Corps logistique des Forces armées zaïroises au plan national.
Et après?
Après la prise du pouvoir par les dirigeants de l’AFDL, les militaires des Faz ont été transférés à la Base de Kitona, au Bas Congo. J’ai passé six mois à Kitona.
D’aucuns ont parlé d’un « camp de concentration »…
Effectivement! Les conditions n’étaient pas faciles. Au départ, Kitona était un « camp de concentration » pour la simple raison que 42 à 43.000 militaires des Faz ont été regroupés en ce lieu dans des conditions d’hygiènes exécrables. J’imagine que la décision émanait du président Laurent-Désiré Kabila et de James Kabarebe, alors colonel, et chef d’état-major général de l’armée congolaise.
A quoi vous attendiez-vous en arrivant à Kitona?
Nous avons pensé que les nouveaux maîtres du pays avaient décidé notre transfert à Kitona dans le but de recycler l’armée afin de constituer des unités homogènes. Nous avons fini par réaliser que nous faisions l’objet d’une politique d’exclusion…
Il semble qu’on aurait dénombré plusieurs cas de décès…
Chaque jour, il y avait quinze à vingt morts à inhumer. Pour une raison que je ne saurai expliquer, la diarrhée était diagnostiquée comme cause principale de décès…
Comment êtes-vous sorti de ce « guêpier »?
Un jour, je me suis « arrangé » pour m’échapper. J’ai regagné discrètement la capitale. Ayant constaté que la grande majorité des officiers supérieurs étaient ostracisés, maltraités et humiliés par des détentions arbitraires, j’ai pris conscience que nous étions exclus de la « nouvelle armée ». A titre d’exemple, on devait se présenter, chaque jour, dans certains camps militaires pour subir des contrôles vexatoires.
Revenons un peu à votre arrestation…
J’ai été arrêté le 18 mai 1997 et amené au camp Kokolo. Par son accent, j’ai compris que l’officier venu m’appréhender n’était pas un fils du pays. Cet officier m’a « balancé » sans ménagement dans un camion. Au camp Kokolo, j’ai été interrogé par un général katangais. Celui-ci voulait connaître les lieux où les armes et les munitions étaient entreposées. J’ai indiqué trois endroits habituels: le camp Kokolo, le camp Kibomango et Mbaza-Ngungu.
Que répondez-vous à ceux qui soutiennent que les militaires des Faz paient aujourd’hui le prix de leurs propres turpitudes pour n’avoir pas été combatifs?
C’est une question très pertinente. Je dois cependant vous dire que l’armée est un instrument du pouvoir. Il est tout à fait faux d’affirmer que c’est la défaite des Faz qui a entraîné notre pays dans sa situation actuelle. Au départ, la crise née en 1996 était avant tout un problème politique. Dans tous les pays organisés, avant d’utiliser l’armée, on recourt d’abord aux voies politiques et diplomatiques. L’armée n’intervient qu’en ultime recours. A l’époque, la situation était plutôt politique que militaire. A mon sens, on devrait parler de « défaite politique » et non militaire.
Ceux qui accablent les ex-Faz partent de l’hypothèse selon laquelle le pays était victime d’une agression de la part des armées venues du Rwanda, de l’Ouganda et – dans une certaine mesure – du Burundi…
Effectivement! C’était une agression étrangère. Je tiens cependant à souligner qu’à son entrée à Kinshasa, l’AFDL a été présentée faussement comme une rébellion congolaise. La supercherie n’a pas duré longtemps. Nous avons fini par découvrir que l’armée rebelle était commandée par des officiers rwandais, ougandais et burundais. Il était, dès lors, clair que l’AFDL représentait une force d’agression. C’est ici que j’ai décidé de quitter le pays pour la Belgique.
A partir de quel moment avez-vous entendu parler du fameux « Traité de Nice »?
Je n’étais pas au courant du « Traité de Nice » en tant que tel. En été 2012, j’ai été invité à la Gare du Midi, à Bruxelles, par le colonel Lambert Tshishimbi. Arrivé sur le lieu, j’ai trouvé le général Paul Mukobo et le major John Kabeya. Le colonel Tshishimbi va nous entretenir des « contacts » qu’il a eus avec une « organisation humanitaire » basée à Nice, en France. Selon lui, cette organisation était disposée à « aider » le peuple congolais.
Quelle était la nature de cette « aide »?
Vous le savez autant que moi que la RDC traverse une crise multiforme…Après cette entrevue, le colonel Tshishimbi a pris contact avec cette organisation. Au mois de septembre 2012, j’ai été invité à Nice. Le responsable numéro un de cette organisation, appelé le « Grand commandeur », a fait un exposé magistral. C’est à partir de ce moment que j’apprendrai que cette institution est dénommée « Le Collège des hospitaliers ». Dans son exposé, l’orateur mettra l’accent sur un programme axé sur le social et la coopération au développement. Un exemplaire du « Traité de Nice », signé en janvier 2012, sera remis à chaque participant. Après cette rencontre, j’ai proposé d’associer mes « collègues militaires ». Il faut souligner que dans son exposé, le « Grand commandeur » avait laissé entendre que le « Collège des hospitaliers » jouissait non seulement de l’appui politique et diplomatique de la communauté internationale mais aussi des « garanties financières » des instances financières mondiales. Sans oublier quelques multinationales. J’ai estimé que les anciens militaires des Forces armées zaïroises devaient préparer un mémo à soumettre à cette organisation.
Un plan de « libération » du pays?
Pas pour « libérer » le pays mais simplement pour montrer à la face du monde que les militaires ostracisés des Faz continuent à exister. Et qu’ils sont prêts à aider leur pays qui est agressé.
Le Congo-Kinshasa est agressé?
Militairement, je crois pouvoir dire que le régime actuel à Kinshasa incarne un pouvoir d’occupation militaire. La structure actuelle de l’armée congolaise est un souci permanent pour nous les militaires. Nous estimons que le pouvoir en place n’a aucune volonté de mettre sur pieds une armée capable de jouer son rôle: la défense du territoire national. Depuis la prise du pouvoir par l’AFDL, la RDC n’a pas d’armée. C’est une situation délibérée. J’ai le sentiment que le président Laurent-Désiré Kabila n’a pas eu le temps de réformer l’armée.
LD Kabila n’a pas pu réformer l’armée par manque de temps ou du fait des obstructions de ceux qui l’avaient porté au pouvoir?
Il est vrai que ses parrains l’ont empêché de le faire. Ma conviction est qu’il a payé de sa vie pour avoir voulu amorcer les réformes dans le secteur de l’armée… Ce qui se passe dans la partie orientale du pays est tout simplement scandaleux. Que voit-on? C’est la même milice étrangère qui y sème la désolation en changeant chaque fois de dénomination: RCD, CNDP, M23. Voilà pourquoi nous estimons qu’il faut recourir aux anciens militaires pour bâtir une nouvelle armée nationale. Une armée républicaine au service non pas d’un homme ou d’un régime mais de toute la nation.
A partir de quel moment avez-vous eu l’idée de vous rendre dans l’enclave angolaise de Cabinda?
Mon intention était d’abord de rassembler, au plan administratif, les militaires éparpillés aux quatre coins du monde.
Dans quel but?
Le but était de sensibiliser les organisations internationales en espérant que celles-ci pourraient peser de tout leur poids sur le régime en place à Kinshasa pour l’amener à réintégrer tous les anciens militaires. Au fil du temps, j’ai appris qu’il y avait une forte concentration des militaires ex-Faz dans le territoire angolais du Cabinda. D’où ma décision d’aller les rencontrer.
Pourquoi avez-vous été interpellé par les autorités angolaises?
Arrivé au Cabinda, j’ai commencé par prendre des contacts. J’ai été surpris au bout de sept jours d’être arrêté à 3 heures du matin. Et ce, au moment où je m’apprêtais à regagner le Congo-Brazzaville.
Suspectez-vous quelqu’un de vous avoir « donné »?
Je dirai qu’il y avait, parmi nous, des gens qui n’étaient pas sincères. Il y avait d’abord des « problèmes » entre le colonel Lambert Tshishimbi et moi.
Quelle était la nature de ces problèmes?
A partir de Nice, Lambert Tshishimbi avait mal pris la proposition que j’avais faite au « Collège des hospitaliers » de mettre en place une petite « cellule » composée de trois officiers. Le « Collège » avait marqué son accord de principe. Un certain « Kani », membre du « Collège », avait pris contact avec les trois officiers. Le lendemain matin, Tshishimbi me dira: « Vous avez des ambitions démesurées. Vous pouvez prendre ma place! ». Quand j’ai décidé d’envoyer des gens au Cabinda afin d’entamer les premiers contacts avec les militaires ex-Faz, j’ai proposé un civil. Tshishimbi, lui, va proposer une deuxième personne. A la fin, il s’est imposé en désignant deux civils en l’occurrence Ilunga Mukendi Nsenda et Abranches Ngalula José. Il présentera ceux-ci auprès du « Collège » comme des militaires. Je dois vous avouer que je n’étais pas content. Arrivé au Congo-Brazzaville et au Cabinda, Abranches a fini par couper tout contact. Il a changé ses numéros téléphoniques. Il n’était plus joignable. Et pourtant, sa mission consistait à prendre langue avec ces militaires et nous ramener la liste donnant des informations sur chacun d’eux. Voilà pourquoi, j’ai proposé au « Collège » de me rendre moi-même sur le terrain au Cabinda.
Avez-vous obtenu des garanties pour votre sécurité?
Je vais vous dire toute la vérité: je ne sais pas si c’est le « Collège » qui m’a menti ou ce sont les autorités angolaises qui n’ont pas dit la vérité. Avant que je ne parte, j’avais demandé au « Collège des hospitaliers » d’engager des pourparlers avec les autorités angolaises afin de garantir ma sécurité sur le terrain. Quelques jours après, le « Grand commandeur » me confirmera que le nécessaire a été fait.
Depuis votre libération, avez-vous rétabli le contact avec le fameux « Collège »?
Aucun contact! Les responsables de cette organisation n’ont manifesté aucun signe de vie depuis mon arrestation.
Devrait-on dire que vous être tombé dans un « traquenard »?
Je n’en sais rien!
Quelle est l’infraction que les autorités angolaises ont pu articuler à votre encontre?
Elles invoquaient plusieurs faits. Lors de mon arrestation, j’ai été amené immédiatement dans un camp militaire. La première question a été de me faire « avouer » que j’étais là dans le cadre d’un mouvement politico-militaire. Et que ce mouvement a signé un accord avec le Front de libération de l’enclave du Cabinda (Flec). Une accusation que j’ai réfutée énergiquement. J’ai été aussitôt passé à tabac. J’ai été torturé, frappé à coup de bâton par un colonel de l’armée angolaise qui se nommerait Kamvumunia. Son objectif était de m’arracher des « aveux » selon lesquels j’étais en contact avec les combattants du Flec pour aller déstabiliser le régime de Kinshasa. Et par la suite, aider le Flec à mener une lutte armée pour arracher l’indépendance de l’Enclave. J’ai été détenu au secret pendant un mois. Un mois au cours duquel j’étais constamment torturé. Je n’étais ni nourri ni soigné. C’est ma famille restée en Belgique qui s’occupait de tout. Il m’a été reproché également d’avoir conclu un prétendu accord avec des autorités angolaises non autrement identifiées pour utiliser l’aéroport de Cabinda. Une allégation parfaitement fausse. Les autorités angolaises ne disposaient d’aucune preuve matérielle à l’appui. Je me suis égosillé à leur dire que le but de mon séjour est de visiter les militaires ex-Faz dans un cadre purement administratif et humanitaire. Sans succès.
Un tribunal angolais vous a jugé et condamné…
J’ai été condamné à 18 mois de prison ferme pour avoir d’une part « déclenché une guerre contre l’Angola » et d’autre part pour « séjour illégal ». Quand j’ai été interpellé, ma famille a saisi aussitôt le ministère belge des Affaires étrangères et des organisations internationales. Un mois durant, les autorités angolaises ont nié ma présence dans une cellule de l’enclave de Cabinda. Alors qu’un général angolais du nom de Mateus se trouvait dans ce territoire lors de mon arrestation. Un autre général nommé Mbungu Lulu est venu m’interroger. Les autorités angolaises ont mis un mois avant de reconnaître auprès de l’ambassadeur de Belgique à Luanda qu’elles avaient effectivement arrêtés un sujet belge.
Comment expliquez-vous l’acharnement des autorités angolaises…
Il me semble que j’avais commis l’erreur de sous-estimer l’excellence des relations en matière notamment économique et sécuritaire existant entre le pouvoir de Luanda et celui de Kinshasa.
Certaines sources soutiennent que Kinshasa avait même demandé votre extradition…
Effectivement! Il y a eu plusieurs missions. Heureusement que des organisations internationales s’y sont opposées. Et puis, j’étais Belge.
Si c’était à recommencer, oseriez-vous vous engager à nouveau dans ce qui ressemble bien à une « aventure ambiguë »?
Il faut tenir compte du but de ma mission au Cabinda. Comme je l’ai dit précédemment, le but était tout simplement de prendre contact avec des anciens frères d’armes et collègues. L’objectif final était que nous restions en contact permanent…S’il faut continuer à prendre contact avec les anciens militaires Faz éparpillés aux quatre coins du monde, je peux vous assurer que je recommencerai…
Après 31 mois de détention loin de votre famille, éprouvez-vous de rancœur?
Non! Par contre, je trouve inacceptable la manière dont j’ai été traité et jugé. J’ai été condamné sans que les autorités judiciaires aient pu démontrer la matérialité de l’accusation. Pire, après ma condamnation à 18 mois de prison, le représentant du ministère public, autrement dit le procureur, a interjeté appel 42 jours après. Et ce en violation du délai légal de 8 jours. Il était dès lors clair que l’affaire était politico-diplomatique et non judiciaire.
Aucune rancœur à l’égard de tous ceux que vous avez cités dans les lignes qui précèdent?
Non plus! Je dis simplement que je n’ai pas apprécié l’attitude du colonel Lambert Tshishimbi. Avait-il un agenda caché? C’est la question qui me turlupine. En tous cas, il n’a pas été correct. A titre d’exemple, après mon arrestation, mon avocat a pris contact avec lui au moment où il se trouvait encore à Pointe-Noire, au Congo-Brazzaville. L’avocat lui a dit exactement ces mots: « Il faut prendre cette affaire au sérieux parce que les faits sont graves. Il faut une provision estimée à 30.000 USD ». « Vous exagérez! », a répondu Tshishimbi avant de couper le téléphone. Finalement, il fera parvenir à cet avocat la somme de 500 USD. Inutile de relever que durant mes 31 mois de détention, je n’ai pas reçu un seul coup de fil la part de Lambert Tshishimbi.
Selon certaines allégations, l’île de Mateba, au Kongo Central, devait être « concédée » au « Collège des hospitaliers ». Qu’en savez-vous?
J’ai lu le « Traité de Nice » comme tout le monde. Il s’agit d’un « accord politique ». Il était effectivement stipulé que le « Collège » devait installer sa représentation à l’île de Mateba. Selon les explications du « Collège », les responsables de l’organisation voulait s’installer « quelque part » dans le pays afin de suivre l’utilisation des moyens financiers qu’ils allaient investir pour l’industrialisation du pays et la mécanisation de l’agriculture. Le « Collège » a jeté son dévolu sur l’île de Mateba. Sans vouloir me lancer dans une polémique inutile, il n’a jamais été question de « vendre » cette portion du territoire national.
Que répondez-vous à ceux qui pourraient vous qualifier de « naïf »?
Je n’ai pas été naïf. Comme je vous ai dit, je me suis rendu à Nice où j’ai eu à suivre l’exposé fort intéressant fait par le « Grand commandeur » sur la volonté de son organisation à « aider » le peuple congolais. C’est en toute connaissance de cause que j’avais pris la décision de suivre de près ce projet. D’où ma décision de préparer un document tout en prenant langue avec les militaires en exil.
Propos recueillis par Baudouin Amba Wetshi