Natif de Basoko (province de la Tshopo), le médecin-colonel en retraite Luc Mayolo Mokede Akaso a décidé de se lancer dans la production agricole. Pour lui, le développement doit plus que jamais partir de l’arrière-pays et non de Kinshasa ou de Lubumbashi. Il exhorte le Président de la République et le nouveau Premier ministre à encourager les opérateurs qui sont déjà sur le terrain en les dotant notamment de tracteurs. Il les exhorte également à faire relancer l’entretien des routes de desserte agricole. Pour la petite histoire, Luc Mayolo a connu un certain Laurent-Désiré Kabila dans la Yougoslavie du maréchal Tito. C’était dans les années 60. Il a servi dans les Forces armées zaïroises avant de rejoindre l’AFDL (Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo) dès l’étape de Goma. Après la « libération », docteur Mayolo est désigné conseiller médical du chef d’état-major adjoint de l’armée qui n’était autre que le général-major « Joseph Kabila ». La collaboration a duré de mai 1997 à janvier 2001. Pour Mayolo, le président Felix Tshisekedi n’a pas pour mission de résoudre tous les problèmes du pays en un quinquennat mais bien de jeter les jalons du « Congo nouveau ». INTERVIEW.
Comment allez-vous?
Je vais très bien.
Vous n’avez plus donné signe de vie depuis bientôt deux ans. Où étiez-vous passé?
J’étais parti à Luanda, en Angola, à l’occasion de la commémoration du 40ème anniversaire de la mort du président Agostino Neto. La veuve Neto avait décidé d’inviter tous ceux qui avaient connu son mari. J’avais connu Agostino Neto à Belgrade à l’époque de la Yougoslavie. Il était à la recherche de José Edouardo dos Santos qui venait de Léopoldville (Kinshasa). Les deux hommes s’étaient donné rendez-vous dans la capitale yougoslave. Neto devait amener Dos Santos à Bakou, en Azerbaïdjan, où il devait poursuivre ses études supérieures.
Vous revenez de Basoko, en province de la Tshopo. Comment se porte le « Congo profond »?
Le Congo profond se porte très mal! La misère crève les yeux. Il n’y a ni eau courante, ni électricité. Il n’y a plus de routes. Il n’y a que des sentiers. Il n’y a ni manufacture ni industrie. Les produits récoltés par les paysans tels que le riz et le manioc pourrissent sur place par manque de possibilité d’évacuation vers les centres de consommation. Les hôpitaux et les dispensaires ne sont plus que des vestiges.
Que faites-vous à Basoko?
J’ai pris la résolution d’agir de peur que je sois accusé de « non-assistance à population en danger ». La situation sociale est indescriptible.
En faisant quoi, concrètement?
Je vais cultiver la terre. Je me lance dans la production de produits vivriers. C’est le cas notamment du riz, du maïs et du soja.
Comment allez-vous financer ce projet sans bénéficier de crédit bancaire?
Je travaille en partenariat avec un citoyen belge du nom d’Alain Vidts. Celui-ci m’a mis en contact avec son conseiller personnel Simon P. Saverys. Nous avons longuement échangé sur la possibilité de faire ressusciter cette vieille idée de la « communauté belgo-congolaise ». Je possède une concession à Basoko précisément à Wahanga, où mon cousin est chef coutumier. Je compte y faire de l’élevage, de l’agriculture et de la pêche. Alain Vidts a accepté de « m’accompagner ». Il m’a apporté sa part.
Vous allez sans doute produire des vivres. Quid de l’évacuation vers les centres de consommation?
Les routes de desserte agricole existent. Elles ont besoin de maintenance. Nous avons décidé de nous mettre au travail pour rouvrir toutes ces routes qui mènent vers le centre de Basoko.
Cette responsabilité n’incombe-t-elle pas aux pouvoirs publics?
Les autorités locales sont démissionnaires! Elles ne font rien. Allons-nous attendre les bras croisés? Assurément pas! Nous allons commencer le travail. Nous apprécierons hautement que les autorités provinciales décident de nous assister.
Que faire, selon vous, pour que « le développement doit partir de la base » cesse d’être un slogan creux?
Il faudrait que ceux qui ont déserté l’arrière-pays pour les centres urbains reviennent dans leurs villages. Chacun devrait concevoir un projet pour que nous puissions jeter les bases du développement. C’est à partir de chaque village que le développement du pays jaillira sur les centres urbains. Nous devons tout faire pour que les paysans trouvent sur place la possibilité de satisfaire leurs besoins primaires.
Si vous étiez en face du ministre du Développement rural, que pourriez-vous lui dire?
Je lui dirai d’encourager tous ceux qui ont lancé des projets agricoles (élevage, pêche, culture) et autres dans l’arrière-pays. Il ne s’agit pas d’argent. Ce dont nous avons besoin ce sont les tracteurs et les outils pour l’entretien des routes. Et pourquoi pas des camions bennes?
Cela fait deux ans que Felix Tshisekedi Tshilombo est à la tête du pays. Quel est votre regard sur la conduite des affaires publiques au cours de ce laps de temps?
Je tiens d’abord à dire que c’est lui faire un mauvais procès de croire que le président « Felix » devrait, en un quinquennat, élever le PIB du Congo-Kinshasa à la hauteur de celui du Grand-Duché de Luxembourg ou de la Suisse. Je crois que la mission de l’actuel chef de l’Etat consiste à poser les jalons du « Congo nouveau ». Il est dommage que le président Felix Tshisekedi n’ait pas entamé son mandat avec l’élan qu’il a aujourd’hui. Il a perdu deux bonnes années.
Selon vous, le pays est-il conduit dans la bonne direction?
Je dirai « oui ». A preuve, il a décidé de réhabiliter et de renforcer l’indépendance du pouvoir judiciaire. J’ai ressenti ce vent nouveau dans l’arrière-pays et dans la capitale. J’estime qu’un pays ne peut exister sans justice ni égalité de chance. Pour moi, Felix Tshisekedi est sur la bonne voie. Toute la question est de savoir si ceux qui l’entourent regardent dans la même direction que lui. Ont-ils la volonté de l’aider à réaliser sa vision d’un Etat où règnent la liberté et la justice? A Kinshasa, j’ai constaté que la liberté d’expression s’est muée en « défoulement général ». Il suffit de suivre les débats politiques sur les médias kinois pour s’en convaincre. Je note que l’actuel chef de l’Etat est très tolérant.
Connaissez-vous le nouveau Premier ministre Jean-Michel Sama Lukonde Kyenge?
Pas personnellement!
Que pourriez-vous dire au nouveau chef du gouvernement s’il était en face de vous?
Je lui dirais de faire de l’agriculture une véritable priorité des priorités.
Que pourra-t-il faire en deux ans?
Il faut jeter les bases. Le gouvernement devrait donner les moyens. En deux ans, on peut récolter ce qu’on a semé. Certes, le chantier est tel que tout est prioritaire. Il faut néanmoins remettre en état les routes de desserte agricole. Dès que les paysans – qui ne croient plus au discours des politiciens – verront passer à nouveau les véhicules, ce sera un déclic. Les paysans se remettront au travail en ayant à l’esprit qu’ils pourront à l’avenir écouler leur production dans les centres de consommation. Il faut que le nouveau Premier ministre commence le développement à la base.
Comment pourrait-on amorcer le développement sans les banques commerciales dont la mission est de financer l’économie?
J’encourage le nouveau Premier ministre à créer une « banque de crédit agricole ».
En deux ans?
Je ne sais pas s’il pourra le faire. C’est un impératif. Il faudra mettre sur pied une banque de crédit agricole pour encourager et soutenir ceux qui ont lancé des projets. Les autorités compétentes doivent recenser les opérateurs économiques présents sur le terrain. Chez moi à Basoko, les gens ne mangent pas.
Pourquoi?
Le matin, ils vont aux champs jusqu’au soir. Ils ramènent quelques bottes de feuilles de manioc. Les gens ne consomment plus que la viande de chien. La pauvreté est criante. Le président Felix Tshisekedi a du pain sur la planche. Je ne le dirai jamais assez que le gouvernement doit commencer par remettre en état les routes de desserte agricole. Sans omettre la route nationale Kisangani-Bunia.
Il faut donc relancer la production locale…
Absolument!
Vous êtes natif de Basoko. Connaissez-vous le nouvel auditeur général des Fardc près la Haute cour militaire, Lucien Likulia Bakemi?
Je connais René. C’est un cousin éloigné. Il fut recruté comme magistrat militaire par le général Norbert Likulia Bolongo, son oncle. C’était après ses études de droit à l’université de Kinshasa.
Quel genre d’homme est-il?
C’est un homme très réservé. Il a en horreur les passe-droits et les privilèges. Il ne faut pas compter sur lui si vous n’êtes pas dans votre droit. J’estime qu’il est l’homme qu’il faut à la place qu’il faut. Il a travaillé aux côtés de son défunt prédécesseur Timothée Mukuntu.
Dans un message publié récemment, les évêques de la Cenco font état de régression en matière des droits humains. Votre réaction?
Le président Felix Tshisekedi est venu au pouvoir avec des idées nouvelles. Son défunt père s’est battu pour faire triompher l’Etat de droit. La chose n’est pas aisée.
Pourquoi dites-vous que ce n’est pas aisé?
Notre peuple a acquis de très mauvaises habitudes. Les gens ont été mal habitués. Lorsque vous voulez renverser un système, les bénéficiaires dudit système ont tendance à résister. Ils s’y opposeront. Personne n’aime le changement. Les révolutions française, russe et américaine en témoignent.
Dans le même message, les évêques de la Cenco tirent la sonnette d’alarme contre toute idée de « glissement » en 2023. D’aucuns parlent de procès d’intention. D’autres disent que l’église est dans son rôle de « contre-pouvoir ». Qu’en dites-vous?
Je n’ai jamais eu le sentiment que Felix Tshisekedi était tenté par le « glissement ». Je soutiens le président Tshisekedi pour ce qu’il fait en vue de matérialiser le combat de son feu père. Pour moi, les évêques sont dans leur rôle de contre-pouvoir. Je ne vois aucun inconvénient au fait que les prélats aient rappelés au chef de l’Etat d’organiser les élections générales en 2023. J’ai la conviction que le Président de la République est conscient que le glissement ne lui profitera jamais. Va-t-il se suicider politiquement? Ma réponse est: Non!
Propos recueillis par Baudouin Amba Wetshi