Depuis vingt-trois ans, les Congolais de Kinshasa vivent sans carte nationale d’identité censée certifier leur citoyenneté. C’est la « carte d’électeur » qui en tient lieu. Cette carte est facile à falsifier. Pire, n’importe qui peut s’en procurer moyennant finance. La « Carte d’identité pour citoyen » délivrée sous la IIème République de Mobutu Sese Sese fut invalidée par les « libérateurs » autoproclamés du 17 mai 1997. Le 26 janvier 2001, « Joseph Kabila » succède à Laurent-Désiré Kabila, décédé mystérieusement dix jours auparavant. C’est au mois de septembre 2013 – soit trois ans avant l’expiration de son second mandat – que le successeur de Mzee commencera à s’intéresser à l’épineuse question du recensement de la population. Sous le gouvernement Matata Ponyo, 81 véhicules seront remis au ministre du Plan d’alors, Célestin Vunabandi. Mission: procéder à la cartographie. Vous avez bien entendu! C’est en octobre 2014 que l’Office national d’identification de la population (ONIP) verra le jour par la nomination d’un directeur général (Adolphe Lumanu). Le recensement était annoncé pour début 2015. Le coût des opérations était estimé à l’époque à un demi-milliard de dollars. Le 24 janvier 2019, « Joseph Kabila » a procédé à la passation de pouvoir avec Felix Tshisekedi Tshilombo sans avoir résolu ce double problème de recensement et d’émission de la nouvelle carte nationale d’identité. En juin 2020, un nouveau directeur général est nommé à la tête de l’ONIP en la personne de Richard Ilunga Ntumba. Selon ce dernier, l’objectif de l’Office est d’identifier tous les Congolais au plus tard le 31 décembre 2022. La nouvelle carte nationale d’identité, elle, serait mise en circulation en 2023, l’année des élections générales. Dans un tweet publié le 10 novembre 2020, le conseiller spécial à la Présidence de la République en charge du Numérique, Dominique Migisha, a annoncé le lancement du projet dénommé « Système national d’identification digitale » (SNID). Selon lui, c’est la première étape devant « permettre » le démarrage du « recensement » de la population avec « au bout » la délivrance de la « carte d’identité pour tous en RDC ». Quatre mois après, c’est le silence plat. Le temps continue à courir. L’échéance 2023 pointe à l’horizon. Le président Felix Tshisekedi Tshilombo va-t-il achever son quinquennat sans permettre aux Congolais d’avoir la nouvelle carte nationale d’identité? Jadis fonctionnaire au ministère de la Justice, (SPF Justice), Michel Kazadi wa Tshamala est actuellement fonctionnaire au ministère de l’Intérieur (SPF Intérieur) belge. Il est, en ses temps libres, porte-parole d’une association connue au sein de la diaspora congolaise de Belgique sous la dénomination de « Copec » (Collectif pour l’Emergence du Congo). Ce groupement a fait de l’identification et du recensement des Congolais son violon d’ingres. « Michel » donne son avis d’expert. INTERVIEW.
Quel est le but poursuivi par votre association?
L’émergence du Congo-Kinshasa est le but de notre association.
« Emergence », c’est un mot plutôt vague…
Nous nous battons pour la diaspora congolaise. Nous sommes censés avoir les mêmes droits et devoirs que les compatriotes vivant au pays. Or nous sommes exclus des scrutins nationaux. Nous voulons que les autorités de notre pays prennent conscience de notre existence. Nous contribuons indirectement à la vie socio-économique du pays. A l’étranger, nombreux sont les Congolais qui font la fierté de leur mère-patrie dans leur spécialité respective.
Que répondez-vous à ceux qui allèguent que, depuis deux ans, les Congolais de la diaspora n’ont pas bonne presse au pays?
J’ai déjà entendu cette assertion. Il se raconte que des Congolais venus de la diaspora ne brillent par l’exemplarité en ce qui concerne notamment l’Etat de droit prôné par le chef de l’Etat. C’est le fameux phénomène de « généralisation ». Il ne suffit pas de se focaliser sur un fait pour stigmatiser toute la communauté congolaise de l’étranger. En réalité, les « gaffeurs » représentent une toute petite minorité. Trois ou quatre personnes. C’est très marginal! C’est dommage que les quelques individus qui sont à la base de cette sulfureuse réputation n’aient pas fait l’objet d’un procès en bonne et due forme afin que l’on sache la pertinence des griefs articulés à leur encontre.
Comme vous le savez, depuis 23 ans, les Congolais n’ont pas de carte nationale d’identité. En votre qualité d’expert du ministère de l’Intérieur, pensez-vous qu’il est possible de coupler la délivrance de la carte nationale d’identité avec le recensement de la population?
C’est beaucoup plus complexe! Un recensement est une « photographie » figée. Une photographie instantanée à un moment donné. Dans notre association « Copec », nous estimons qu’il importe de commencer par l’identification de la population. Celle-ci est dynamique.
Quelle est la différence entre le recensement et l’identification?
Comme je l’ai dit précédemment, l’identification est dynamique alors le recensement est figé. Immobile. Dès que nous identifions une personne, nous pouvons mettre en place toute une succession de données. A titre d’exemple, les données enregistrées lors du recensement n’évoluent pas. En revanche, les informations contenues dans une base de données peuvent changer. C’est le cas notamment de l’état-civil. Il en est de même du nom. Une personne identifiée à sa naissance peut être suivie jusqu’au moment où il aura l’âge de voter. L’identification est vraiment prépondérante par rapport au recensement.
D’après vous, combien de temps faudrait-il pour accomplir le recensement dans un pays comme le Congo-Kinshasa avec plus ou moins 80 millions d’habitants?
Je ne me permettrai pas d’avancer un calendrier rigide. Il faut entamer les opérations. Vous pouvez convenir que les chiffres qui sont avancés relèvent des projections. Dans le « Copec », nous estimons qu’il faut créer un engouement autour de l’identification de sorte qu’on puisse avoir, au cours de la première semaine ou le premier mois, une projection sur le futur. Il faudrait, pour ce faire, de la volonté mais aussi des moyens.
Combien coûte une carte d’identité vierge qui sort d’une machine?
Je ne voudrais pas dire des banalités. Indépendamment de mes fonctions au ministère de l’Intérieur, j’ai à maintes reprises, participé à la foire internationale de la technologie à Hanovre. J’ai commencé à y participer depuis 2007 et 2008. Une carte vierge ne coûte pas grand chose. Un privé peut acheter une machine. Il y a des gens qui s’amusent à imprimer des fausses cartes. On ne peut pas se focaliser sur le coût de la machine à imprimer les cartes.
N’est-ce pas ahurissant que tout un peuple n’ait pas de carte nationale d’identité qui le distingue des étrangers?
C’est aberrant! Je le constate au ministère de l’Intérieur où je travaille. C’est un casse-tête chaque fois qu’il s’agit de recueillir des données sur des Congolais. La carte d’identité est au centre du problème. Au ministère de l’Intérieur belge, nous ne considérons pas la carte d’électeur comme une pièce d’identité. Les gens croient à tort que la carte d’électeur peut remplacer la carte d’identité. Les autres nationalités ont des cartes d’identité. Tous les pays voisins ont des cartes nationales d’identité. Notre pays est le seul à ne pas en avoir.
A vous entendre parler, la carte d’identité doit faire partie des priorités de priorités…
Bien entendu! Je travaille dans un ministère pour lequel la carte d’identité relève des données hyper-importantes. Pour nous, la carte d’identité doit être la priorité des priorités. Sans carte d’identité, on n’existe pas.
Revenons à la carte d’électeur. L’enrôlement des votants est suivi par la délivrance de la carte d’électeur. Cette double opération n’est-elle pas l’assimilation à l’identification et la délivrance de la carte d’identité?
Cela peut constituer un « raccourci » pour ne pas se livrer à un travail d’études et des statistiques. Pour nous, ce n’est nullement sérieux. Pour notre association, les nouvelles technologies doivent être combinées à la carte d’identité. Sans les données biométriques et autres, c’est un travail sans intérêt. Pour nous, une carte d’électeur n’a aucune force probante. La raison est simple: les informations enregistrées sur la carte d’électeur ne sont pas les mêmes que celles qui sont dans la carte d’identité. A titre de comparaison, la carte d’électeur contient des informations figées. Alors que dans une carte d’identité, il y a des données sont dynamiques. Exemple: une personne qui change d’adresse. La carte puce doit pouvoir contenir l’historique des adresses successives. Autre exemple: il y a moins de dix ans, on utilisait en Belgique la carte d’assurance-maladie en plus de la carte d’identité. Aujourd’hui, toutes les données sont rassemblées dans la puce de la carte d’identité. Toutes ces données permettent de « retracer » une personne sur le plan administratif, économique, sécuritaire etc. Les données administratives doivent être conservées dans un endroit où les pouvoirs publics peuvent exercer un contrôle.
Vous parlez « d’identification » de la population, au Congo on parle de « recensement ». S’agit-il des synonymes dans le cas sous examen?
Je crois que ce sont des raccourcis. Dans notre association « Copec », nous avons du mal à concevoir le recensement sans intégrer le mot ‘identification’. On ne peut pas se limiter à compter les habitants du pays. D’aucuns croient à tort que l’identification vise à savoir qui est Congolais et qui ne l’est pas.
D’après vous, serait-il possible de réaliser le recensement d’ici 2022?
Je crois que c’est tout à fait possible à condition que les autorités en fassent une priorité.
Sans vouloir faire l’éloge de la dépendance, quel concours la Belgique – pays avec lequel le Congo-Kinshasa a tissé tant des liens – pourrait apporter à notre pays dans le cadre de ces opérations?
Au ministère de l’Intérieur, il y a des matériels et des applications. Des matériels qui permettent d’identifier les personnes uniquement par le nom, sans la carte d’identité de l’intéressé. L’équipement qui existe peut être mis à la « sauce congolaise ». En Belgique, il y a la décentralisation de certaines données. Dès qu’un enfant est né, l’hôpital communique l’information à la commune. Personne n’ira à la maison communale déclarée l’enfant. Il n’a rien à réinventer. En conclusion, notre association considère que chaque Congolais compte. Les Congolais de la diaspora sont disposés à apporter leur pierre à l’édifice. Le « Copec » entend y contribuer de manière efficace et transparente comme nous agissons en Belgique. Notre pays ne pourra se développer sans passer par l’identification et le recensement de la population qui constituent avec la justice la pierre angulaire de l’Etat de droit.
Propos recueillis par Baudouin Amba Wetshi