Ex-tout-puissant patron de l’Agence nationale de renseignements (ANR), Kalev Mutond, 63 ans, fait face à un « tir groupé » des plaintes. Les accusations sont gravissimes: enlèvements, arrestations arbitraires, torture et empoisonnement et tentative d’assassinat. Ces plaintes émanent non pas des pouvoirs publics mais des personnes privées ayant croupi dans un des cachots de l’Agence à l’époque du « kabilisme triomphant ».
Invité, jeudi 18 février, à se présenter au parquet général près la Cour d’appel de Kinshasa/Gombe « pour une communication » le « concernant », selon la formule consacrée, l’ex-chef barbouze s’est défilé. L’officier du ministère public Robert Kumbu Phanzu a attendu en vain.
Kalev Mutond qui semble bien connaitre ses « droits » s’est empressé de brandir le premier alinéa de l’article 25 du décret-loi n°003-2003 portant création et organisation de cette Agence: « Les officiers de police judiciaire ou du ministère public, avant d’interpeller ou de poursuivre les agents et fonctionnaires de l’Agence nationale de renseignements pour les actes accomplis dans l’exercice de leurs fonctions, doivent demander l’avis préalable de l’administrateur général ».
Invité à commenter cette disposition, un officier de renseignements joint à Kinshasa a abondé quasiment dans le même sens: « En tant que gestionnaire des informations hautement classifiées, le protocole exige que l’agent ou le fonctionnaire de l’ANR soit tenu au secret et au droit de réserve pendant cinq ans ».
LES PLAIGNANTS
Contrairement à ce que d’aucuns veulent croire et laissent entendre, « Kalev » n’est nullement victime d’un quelconque « règlement de compte ». Il n’est pas non plus victime d’une « chasse aux sorcières ». Les plaignants dans cette affaire sont connus: Joseph Kapepula Mulumba (syndicaliste SNCC), Vano Kiboko Kalembe (ancien député), Christopher Ngoyi Mutamba (activiste de la société civile), Jean-Bertrand Ewanga (ancien secrétaire général de l’UNC), Gérard Gecoco Mulumba (député), Jean-Claude Muyambo Kyassa (président du Scode) Cyrille Mupapa (secrétaire général du Scode). La liste est, sans doute, loin d’être exhaustive.
Le premier alinéa de l’article 23 du décret précité met un accent particulier sur l’obligation des fonctionnaires de l’ANR d’accomplir leur travail de police judiciaire (constater l’infraction, rassembler les preuves et identifier l’auteur) « dans le respect des lois et règlements ». Le deuxième alinéa du même article oblige ces agents et fonctionnaires à transmettre « immédiatement leurs procès-verbaux à l’administrateur général qui les envoie à l’officier du ministère public près les juridictions civiles ou militaires selon le cas ». Cette disposition renvoie au délai légal en matière de garde à vue.
Les différents griefs articulés à l’encontre de l’ex-patron de l’ANR portent uniquement sur des abus constitutifs de violation des lois et des règlements. Des abus commis durant son mandat. Sans omettre des faits qui remontent à l’époque où il était le numéro deux de l’Agence.
EXCES DE POUVOIR
Le premier alinéa de l’article 16 de la Constitution stipule: « La personne humaine est sacrée. L’Etat a l’obligation de la respecter et de la protéger ». « Toute personne a droit à la vie, à l’intégrité physique ainsi qu’au libre développement de sa personnalité dans le respect de la loi, de l’ordre public, du droit d’autrui et des bonnes mœurs », indique le second alinéa.
En attendant que la justice établisse la matérialité des plaintes citées ci-dessus (enlèvements, arrestations arbitraires, torture et empoisonnement, tentative d’assassinat) – et sans vouloir noircir le tableau – , on peut citer quelques « cas oubliés » qui illustrent les « excès de pouvoir » imputables à l’ANR tant à l’époque de « Kalev ». Selon des sources, à l’époque où ce dernier était le « numéro deux » de l’Agence, il ne rendait compte qu’à « Joseph Kabila ».
John Lumbala Tshidika. Dans la nuit du 12 novembre 2008, John Lumbala Tshidika, directeur des ressources humaines à la Banque Congolaise (BC) est arrêté à son domicile par des agents de l’ANR. Ces derniers n’étaient porteurs d’aucun mandat. Destination: siège de l’ANR en face de la Primature. Dans un communiqué daté du 15 décembre 2008, l’Asadho (Association africaine de défense des droits de l’homme) dénonce « l’arrestation et la détention arbitraires ». Lumbala était en fait l’homme qui en savait trop. Il avait confié à des collègues ses « inquiétudes » sur « les pratiques peu orthodoxes » en vigueur au sein de la BC. Des pratiques à la limite du blanchiment. Informé, le président du conseil d’administration de la BC, le Franco-Libanais Alfred Yaghi, accusa faussement ce cadre d’être un informateur de l’Apareco de Ngbanda Nzambo Ko Atumba. Lumbala est arrêté et soumis à un « traitement inhumain et dégradant ». Il semble qu’il sera soumis à des interrogatoires menés par l’administrateur principal Kalev Mutond. L’objectif était d’arracher des « aveux ».
Un homme d’affaire témoigne sous l’anonymat: « J’ai été détenu en 2009 durant une cinquantaine de jours dans le cachot de l’ANR en face de la Primature. Je n’ai jamais attenté à la sécurité intérieure ou extérieure du pays ». L’homme avait un « litige » avec des « amis libanais » qui avaient leurs entrées à l’ANR. « Un jour, je suis convoqué. Après une brève audition par un certain Monsengwo qui était conseiller juridique, je suis enfermé dans un cachot où il y avait déjà une quarantaine de personnes ». L’homme sera obligé de remettre à ses geôliers une somme de 5.000 $ pour recouvrer la liberté.
Epuration de l’administration provinciale. Après la naissance du « G7 » et la démission de Moïse Katumbi du poste de gouverneur du Katanga en septembre 2015, l’administrateur directeur provincial (Redoc) de l’ANR/Katanga, Nzita Bamana, a demandé au gouverneur intérimaire – par note n°05/ANR/DSI/H-Kat/478/15 du 12 octobre 2015 – d’exclure du conseil provincial de sécurité les fonctionnaires appartenant aux partis membres du « G7 » . Motif: appartenance à l’opposition. Le premier alinéa de l’article 8 de la Constitution stipule notamment: « L’opposition politique est reconnue en République démocratique du Congo (…)« .
La juge-présidente Chantal Ramazani. Les Congolais ont encore frais en mémoire la correspondance adressée au ministre de la Justice en date du 25 juillet 2016 par la juge-présidente du tribunal de paix de Lubumbashi/Kamalondo. Chantal Ramazani Wazuri y dénonçait notamment « l’extorsion de sa signature » par Kalev Mutond afin de « condamner » Moïse Katumbi dans le contentieux opposant au celui-ci à Alexandros Stoupis.
Aux dernières nouvelles, on apprenait que le parquet général près la Cour d’appel de Kinshasa/Gombe aurait déjà apprêté un mandat d’amener ou d’arrêt contre Kalev Mutond. Et ce dans le cas où ce dernier rechignerait à se présenter lundi 22 février devant l’OMP Robert Kumbu Phanzu. Il n’y a ni règlement des comptes, ni chasse aux sorcières. Bien au contraire. Kalev Mutond est et reste un justiciable comme les autres. Au nom de l’égalité des Congolais devant la loi.
Baudouin Amba Wetshi