Député national, membre de la plateforme « AR » (Alternance pour la République), une des composantes du Rassemblement, Jean-Bertrand Ewanga Is’Ewanga est co-fondateur du PPRD (Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie).
Il se définit comme un « citoyen congolais qui se bat pour l’avènement de la démocratie et l’alternance dans son pays ».
Quelle est le but de votre séjour en Belgique?
Le plus grand reproche qu’on fait au personnel politique congolais est de travailler sans programme. C’est ainsi que Moïse Katumbi a invité ses principaux lieutenants pour discuter sur le programme dans le cadre d’un forum qu’il a ouvert. Nous espérons, d’ici un mois, élaborer le « programme de Katumbi pour la relance ».
Quelles sont les grandes lignes de ce programme?
Je ne suis pas autorisé à en parler. Et ce pour la simple raison que le document n’est pas encore adopté. C’est un plan quinquennal pour remettre le Congo sur le rail. Moïse Katumbi a beaucoup d’idées. C’est un homme d’expérience qui a fait ses preuves en tant que gouverneur de l’ancienne province du Katanga.
Parlons un peu de votre parcours. Vous avez été le premier gouverneur de la province de l’Equateur sous « Joseph Kabila ». Quel est l’élément qui a milité en votre faveur?
A l’époque, j’étais membre de l’UDPS, aile Kibassa-Maliba. Natif de la province du Katanga, Frédéric Kibassa Maliba – paix à son âme – était plutôt bien vu par les « libérateurs » de l’AFDL (Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo-Zaïre). C’est ainsi que j’ai été « pistonné » à la tête de la province de l’Equateur.
Il semble que vous faites partie des fondateurs du Parti du peuple pour reconstruction et la démocratie (PPRD)…
Oui, en ma qualité de gouverneur de province désigné par Monsieur Kabila. Lorsqu’on préparait le dialogue inter-Congolais, il fallait donner au Président en exercice un instrument politique. Sur les onze gouverneurs de province, un seul a refusé d’adhérer à cette idée. Il s’agit de Monsieur Obotela de la Province Orientale. Sous la direction de Théophile Mbemba qui était à l’époque ministre de l’Intérieur, nous avons élaboré le statut du nouveau parti.
Depuis sa naissance, le PPRD se réclame de la social-démocratie dont les valeurs cardinales sont notamment la démocratie, la solidarité, la justice sociale, l’égalité, la liberté. N’y a-t-il pas un problème de cohérence entre le discours et l’action?
Le PPRD est sorti du lit tracé par ses fondateurs. Il est devenu aujourd’hui, un « parti vagabond » qui ne sert plus que les intérêts d’un homme. Cette formation est appelée à disparaître 24 heures après le départ de Kabila du pouvoir. En définitive, le PPRD n’a été qu’une aventure pour servir un individu.
Vous avez par la suite adhéré à l’Union pour la Nation Congolaise (UNC) de Vital Kamerhe avant de claquer la porte en août 2016 en tant que secrétaire général. Quelle a été la cause profonde de ce « divorce »?
La raison légitime tient d’abord à ma détention à la prison de Makala. J’ai été condamné à 12 mois de prison ferme. C’était le 11 septembre 2014. J’ai été libéré le 31 juillet 2015. Conformément à la loi, Monsieur Kabila avait la possibilité de m’accorder la libération conditionnelle. Il a refusé. On a prétendu que j’avais insulté le chef de l’Etat. Vous savez, j’ai assumé les fonctions de gouverneur par deux fois. J’ai été membre du Parlement de Transition avant d’être élu député lors des législatives de 2006 et 2011. J’étais chef de travaux à l’université. Peut-on décemment imaginer que je puisse, avec un tel parcours, faire preuve de légèreté en insultant le premier magistrat du pays?
Que vous reproche-t-on exactement?
Lors de la manifestation organisée le 4 août 2014, j’avais exhorté le Président de la République à respecter la Constitution. « Il doit partir à la fin de son mandat parce que son bilan est largement négatif », avais-je ajouté. Les faits sont là: des guerres à répétition dans les provinces du Kivu, des militaires en opération se sont plaints de l’inadéquation entre les armes et les munitions, des étrangers sont promus au grade de général dans notre armée. C’est le cas notamment de Bosco Ntaganda. Le colonel Mamadou Ndala qui avait suscité tant d’espoir a été « immolé ». De nombreuses enquêtes criminelles sont toujours en souffrance dans des tiroirs. J’ai compris que le pouvoir en place n’est nullement au service du bien-être des Congolais.
Revenons à votre départ de l’UNC…
Nous avons lancé l’UNC avec Vital Kamerhe. L’objectif était de s’affirmer au Congo comme une force politique. L’UNC est devenue effectivement la troisième force de l’opposition après l’UDPS et le MLC. Alors que toutes les conditions étaient réunies pour que nous puissions remporter la présidentielle de 2016 – étant donné que Kabila était inéligible, Jean-Pierre Bemba était en prison, le Vieux Tshisekedi avec tous les respects qu’on lui devait -, Kamerhe opta radicalement pour un dialogue avec Kabila. Je lui ai fait remarquer que nous appartenions à l’opposition. Et qu’il n’avait pas jugé utile de participer au conclave de Genval en juin 2016 en invoquant un souci « protocolaire ». « Si Etienne Tshisekedi est présent, il placera Moïse Katumbi à sa droite. A sa gauche, il y aura les membres de son équipe. Où sera ma place? », m’avait-il dit.
Un problème d’égo…
Effectivement! C’est un problème d’égo qui l’a empêché d’aller à Genval. Voilà pourquoi nous avons décidé de ne plus le suivre. Pour la petite histoire, lors du dialogue organisé à la Cité de l’Union Africaine, j’ai été surpris qu’on me fasse des propositions: « C’est toi que le président de la République cherche. Il ne veut pas de Kamerhe ».
Il semble que Kabila en veut à Kamerhe pour avoir dénoncé l’entrée des troupes rwandaises sur le territoire congolais. Ce n’est pas tout. Il y a également le rôle qu’il joua lors des manifestations de janvier 2015 et la dénonciation l’affaire du « charnier de Maluku ». « C’est pour toutes ces raisons que le chef de l’Etat ne lui pardonne pas. On va recourir à vous pour obtenir le glissement du calendrier électoral et modifier la Constitution ».
Etes-vous en train de dire que « Joseph Kabila » et ses oligarques comptaient sur le dialogue pour initier la révision constitutionnelle?
Absolument! Je ne pouvais pas dire non devant mes interlocuteurs. Je suis allé voir Vital Kamerhe. « C’est ta tête qu’ils veulent, lui ai-je dit. Je ne suis pas prêt à suivre Kabila dans son ambition de s’accrocher au pouvoir ». Pour toute réponse, Kamerhe me rétorqua: « tu te laisses manipuler ». C’est ainsi que j’ai démissionné.
Vous avez parlé du conclave de Genval. Comment se porte le Rassemblement quatorze mois après?
Le Rassemblement a connu beaucoup de « secousses ». La disparition inopinée d’Etienne Tshisekedi wa Mulumba a été un coup dur. Très dur. Il faut bien reconnaitre qu’on ne remplace pas le président Tshisekedi. En débauchant, plusieurs « fortes têtes » de l’opposition, Kabila a voulu « liquider » le Rassemblement. C’est le lieu de féliciter Félix Tshisekedi et Moïse Katumbi. Ils constituent aujourd’hui les deux piliers de l’opposition. Je peux vous dire que le Rassemblement a désormais une carapace endurcie. Les deux journées ville morte ont été un succès. Si la CENI ne publie pas le fichier électoral au 30 septembre et ne convoque pas le scrutin au 1er octobre, nous allons déclencher l’opération « Kabila dégage! ».
On vous a vu récemment au siège de la CENI. Quel était l’objet de votre démarche?
L’objectif était de toucher du doigt les contraintes auxquelles était confrontée la centrale électorale. Nous avons découvert que Monsieur Nangaa et son équipe ont abattu un grand travail. Sur les 42 millions d’électeurs, la CENI aurait déjà enregistré 38 millions…
C’est la CENI qui le dit…
Oui! Il y a sans doute des doublons parmi les enrôlés. C’est pourquoi un audit est nécessaire pour s’assurer qu’il n’y a pas de supercherie. Lors de notre visite, les responsables de la CENI nous ont exposé d’abord les problèmes financiers. On apprendra qu’il faut au moins 150 millions USD pour clôturer les opérations d »enrôlement. On apprendra également qu’il faut au moins 550 millions USD pour organiser les opérations électorales proprement dites. Il y a ensuite les problèmes sécuritaires dans les provinces du Kasaï. Au Nord Kivu, on nous annonce qu’il y a une « rébellion » en gestation. S’agit-il d’un plan monté de toutes pièces par Kabila pour prendre le pays en otage? Je dis: oui! Ce qui étonne c’est l’absence de communication de la part de la CENI. Celle-ci n’a pas suffisamment informé l’opinion sur les difficultés rencontrées. Devant nous, les responsables de la CENI ont pris l’engagement de publier le fichier électoral le 31 août. Comment vont-ils le faire alors que les opérations d’enrôlement n’ont pas encore commencé dans les Kasaï? Nous avons proposé que priorité soit donnée à la tenue de l’élection présidentielle. Une chose paraît sûre: il n’y aura pas d’élections crédibles, libres et transparentes tant que Kabila sera à la tête du pays. Au moment où nous parlons, il cherche à provoquer une autre négociation pour nous rouler dans la farine…
Voulez-vous dire qu’il y aurait des contacts entre le pouvoir et le Rassemblement?
Il y a des appels du pied. Nous restons fermes: pas de troisième dialogue. C’est ainsi qu’il a précipité la désignation de Joseph Olenghankoy à la tête du CNSA (Conseil national du suivi de l’Accord). But: permettre à Bruno Tshibala, la CENI et Olenghankoy de prolonger les enregistrements. L’Accord de la Saint Sylvestre dit qu’en cas de force, il faut organiser l’élection la plus importante. C’est l’élection présidentielle. On pourra parachever après. Voilà la situation. Comment ne pas donner raison à ceux qui soutiennent que Monsieur Kabila étant issu de la rébellion de l’AFDL, il ne comprend que le langage des armes. Nous avons, en ce qui nous concerne, opté pour la non-violence. Ça prend du temps. Nous allons tenir bon. Joseph Kabila ne jouit plus de la confiance des Congolais. Malgré cela, il est en quête d’un stratagème pour provoquer un référendum et faire sauter le verrou constitutionnel qui l’empêche de se représenter. Dès que Kabila aura la possibilité de briguer un nouveau mandat, la paix reviendra dans les provinces du Kivu et dans le « Grand Kasaï ». Du coup, la CENI aura les moyens nécessaires pour les opérations électorales.
On parle de plus en plus d’une transition sans « Kabila ». Par quel mécanisme?
C’est l’idée qui a été lancée par Félix Tshisekedi. C’est une idée qui procède d’une part du constat de la déstabilisation permanente de notre pays et de l’autre du refus de l’opposition à accepter un troisième dialogue. La raison est simple: notre interlocuteur n’a respect de la parole donnée.
Que pensez-vous de Sindika Dokolo et de son mouvement citoyen « Les Congolais debout »?
Il faut saluer la naissance de ce mouvement. Il rentre dans le cadre de l’éveil patriotique. Il faut réveiller les Congolais. Notre pays s’expose à beaucoup de risques y compris la balkanisation. Sindika Dokolo rentre dans la logique du Rassemblement. Une logique qui voudrait que tous les Congolais se mettent debout pour contrer l’inconstance de Kabila.
Que répondez-vous à ceux qui allèguent que derrière « Sindika » se dissimulerait l’Angola?
C’est un procès d’intention. Sindika est un Congolais à part entière. Il n’y a pas de doute sur lui. L’Angola n’a rien à envier chez nous. Un Congo sécurisé serait propice à la stabilité de ce pays voisin.
On a vu « Joseph Kabila » se rendre à la Base de Kitona à l’occasion de la clôture de la formation de deux « bataillons spéciaux » et d’un régiment. Il a été à Kamina pour une mission analogue. Pensez-vous qu’on se trouve en face d’un chef d’Etat qui prépare sa retraite?
Ce sont des intimidations. Joseph Kabila aime effrayer la population et par ricochet la communauté internationale. Il faut visiter le camp Kokolo pour prendre la mesure de la souffrance des militaires congolais. Un jour nos frères militaires et policiers vont refuser de tirer sur la population et exiger le départ de Kabila.
Que dites-vous à ceux qui soutiennent que Félix Tshisekedi Tshilombo, Moïse Katumbi Chapwe et Sindika Dokolo font trois « caïmans » dans le marigot?
Je ne le pense pas! Les trois hommes travaillent en synergie. Moïse Katumbi a déclaré sa candidature à la présidentielle. L’UDPS a désigné « Félix » comme son candidat. C’est son droit. Le compatriote Sindika n’a pris aucune position à ce jour sauf de favoriser l’alternance.
Vous avez passé 12 mois à la prison de Makala. Quelle leçon en avez-vous tirée?
La prison de Makala est tout le contraire d’un centre de rééducation. C’est un mouroir. Ce lieu carcéral a été construit en 1958 pour 1.200 pensionnaires. Il y a aujourd’hui 9.000. Les conditions sont extrêmement difficiles. Du chanvre et de l’alcool rentrent dans la prison avec la complicité de la direction. Tout est monnayé. Plusieurs opposants sont détenus à Makala. C’est le cas notamment de Jean-Claude Muyambo, Franck Diongo et Eugène Diomi Ndongala. C’est l’aspect négatif de l’emprisonnement. Ce qui est, par contre, positif c’est bien le sentiment d’être libéré de la peur. La peur est notre plus grand ennemi…
Propos recueillis à Bruxelles par Baudouin Amba Wetshi