Rapport Mapping: Roger Lumbala, coupable ou bouc émissaire?

Homme politique plutôt fantasque, Roger Lumbala Tshitenga, 62 ans, est détenu depuis la nuit de la Saint Sylvestre dans une prison parisienne. La nouvelle a été confirmée lundi 4 janvier par le parquet antiterroriste de Paris. L’homme était, semble-t-il, « traqué » depuis belle lurette alors qu’il passe pour un « Parisien ». L’ex-chef rebelle est suspecté de complicité de crimes contre l’humanité entre 2000 et 2003. Ancien membre de l’UDPS, Lumbala a rejoint l’AFDL (Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo-Zaïre), – cette trouvaille du président ougandais Yoweri Museveni et de Paul Kagame, alors vice-président et ministre de la Défense du Rwanda – qui a porté Laurent-Désiré Kabila au pouvoir à Kinshasa un certain 17 mai 1997. Après la rupture entre LD Kabila et ses mentors en juillet 1998, Lumbala adhère à la nouvelle « rébellion congolaise » née en août 1998 à… Kigali, dénommée RCD (Rassemblement congolais pour la démocratie). Après un passage au RCD-K/ML d’Antipas Mbusa Nyamwisi, Lumbala créé, grâce à l’Ouganda, son aile dissidente dite « RCD-National », basé à Bafwasende, dans l’ex-Province Orientale.

Dans un tweet publié sur son compte Twitter @thfessy, l’ancien correspondant de la BBC au Congo-Kinshasa (2008-2010), Thomas Fessy écrit que l’arrestation de Roger Lumbala sous le chef d’inculpation de « complicité de crimes contre l’humanité » constitue l’acte premier des enquêtes fondées sur le Rapport Mapping. Celui-ci a été rédigé par des experts des Nations Unies.

Roger Lumbala lors d’un séjour à Bruxelles

Fessy qui évolue actuellement en tant que chercheur principal de l’ONG Human Right Watch (HRW) pour la RDC estime que c’est un « pas positif » contre l’impunité. Une preuve que l’obligation de rendre compte peut être exigée même plusieurs années plus tard, souligne-t-il.

OPÉRATION « EFFACER LE TABLEAU »

Sans vouloir faire l’avocat du diable, il est symptomatique de constater que les faits reprochés à Lumbala remontent non pas à l’époque où il évoluait au sein du RCD-Goma (1998-2000) mais entre 2000 et 2003. A l’époque, il était à la tête de « son » propre mouvement rebelle dénommé « RCD-National » basé dans les actuelles provinces de l’Ituri et du Haut Uélé.

Selon des observateurs, « Roger » savait qu’il était épinglé dans le rapport de l’Onu sur le pillage des ressources naturelles du Congo. C’est un secret de Polichinelle de souligner que des officiers d’un pays voisin bien connu « rodaient » dans les parages tout en lorgnant sur les ressources minières du coin.

Dans une interview accordée à « Congo Indépendant » en date du 22 avril 2014, Lumbala n’a pas nié son état d’ancien « chef rebelle ». Sur un ton empreint de fermeté, il ajouta: « Personne ne pourrait m’imputer des faits de guerre pour la simple raison que je n’ai jamais fait la guerre contre la République démocratique du Congo ». Le président du RCD-N ne s’est pas arrêté là! Il a mis au défi quiconque de « prouver le contraire ». Ses dénonciateurs, eux, l’impliquent dans une opérée armée dite « Effacer le tableau » au cours de laquelle 173 civils auraient été tués. C’était en octobre 2002 à Mambasa. Cette partie du partie du pays a un sous-sol qui recèle de l’or, du diamant et du coltan.

REACTIONS

Dans un communiqué daté du mardi 5 janvier, le docteur Denis Mukwege a salué l’interpellation du Président du RCD-N en soulignant que cette première inculpation est un premier pas dans le cadre du rapport Mapping. Il s’agit de ce Rapport rédigé par des experts des Nations Unis. Ceux-ci y répertorient les violations graves des droit Humains et du droit international commises au Congo-Kinshasa entre mars 1993 et juin 2003.

Le Prix Nobel de la Paix dit espérer que d’autres pays européens vont emboîter le pas à la France en diligentant « des procédures sur base de la compétence universelle pour des faits documentés dans le rapport Mapping » et en soutenant la démarche de l’Etat congolais « à initier un processus de justice transitionnelle pour garantir aux victimes leurs droits à la justice, à la vérité ».

Le Prix Nobel de la Paix Denis Mukwege

UNE JUSTICE INTERNATIONALE PARTIALE?

Homme politique plutôt fantasque et versatile, Roger Lumbala Tshitenga semble avoir un « talent » particulier pour se mettre dans le pétrin.

En septembre 2012, il est suspecté d’accointance avec le colonel John Tshibangu. Celui-ci venait d’entrer en dissidence. C’était au lendemain du lancement de la « rébellion » pro-rwandaise du M23. Ecœuré par « l’impassibilité » de « Joseph Kabila », Tshibangu accusait le chef de l’Etat d’alors d’être de connivence avec les « mutins ».

En visite privée à Bujumbura fin août de cette même année, Lumbala, alors député national, est interpellé par les « services » burundais au moment où il allait prendre un vol à destination de Paris. Son passeport diplomatique est confisqué. Il regagne son hôtel. « Tuyauté » par des amis habitants Bujumbura, il apprend l’arrivée dans la ville de Kalev Mutond, le très redouté patron de l’ANR, Lumbala prend ses cliques et ses claques avant de se réfugier à l’ambassade sud-africaine. A Kinshasa, Lambert Mende, alors porte-parole du gouvernement l’accuse de « présomption de haute trahison ». Kalev échoue dans sa mission de prendre possession du « colis ». Grâce à la diplomatie française, Lumbala est exfiltré. Il embarque dans un avion à destination de Paris où il est réputé disposer d’une résidence.

Au mois de mai 2016, on apprenait que l’homme a été arrêté à Moscou dans une nébuleuse affaire. Après sa libération, il vient animer un point de presse à Bruxelles. Interrogé sur le motif de son arrestation, Lumbala lance en lingala: « J’ai été à Moscou pour acheter des pommes de terre ». L’assistance ne savait s’il fallait en rire ou en pleurer.

Tous ces faits ne peuvent éluder la présomption d’innocence dont bénéficie le prévenu Roger Lumbala. Osons espérer qu’il est poursuivi pour des faits matériels qui lui sont imputables et non simplement pour permettre à la justice internationale d’avoir bonne connaissance en se jetant à pieds joints sur des boucs émissaires.

A propos, en dehors de Bosco Ntaganda, la justice internationale ne ferait-elle pas preuve de partialité en s’acharnant sur des Congolais? A quand des poursuites à l’encontre des dirigeants politiques et des officiers ougandais et rwandais suspectés d’avoir commandité des crimes odieux dans les deux provinces du Kivu et dans l’Ituri? « Joseph Kabila » inclus.

 

Baudouin Amba Wetshi

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