Théâtre: « Botala Mindele »

Un soir à Kinshasa. Il pleut… Ruben et Mathilde, installés au Congo depuis des lustres – à tel point qu’ils se sentent devenus « un peu Congolais » – ont invité à dîner un couple d’amis, Daniel et Corine, fraîchement arrivés dans l’ex-colonie belge. Ruben fait des affaires avec le gouvernement congolais. Daniel projette d’investir dans l’extraction du caoutchouc. Il espère que Ruben pourra lui faire rencontrer un puissant ministre, lui aussi invité, afin de faire aboutir rapidement son business. Mais le ministre, en pourparlers avec les Chinois, ne se montre guère pressé…

C’est le fil conducteur de « Botala Mindele » (Regarde l’homme blanc). Les hommes blancs, traduirions-nous… Une pièce actuellement à l’affiche au Théâtre de Poche jusqu’au 14 octobre en collaboration avec le Rideau de Bruxelles. Comme un pied de nez au dialogue Nord-Sud, souvent parsemé d’affairisme, « Botala Mindele » est un condensé de sexisme, mépris de classe, culpabilités enfouies, frustration sexuelle, névrose, impuissance. Tout ce cocktail explose en feu d’artifice final face au spectateur qui, hurlant de rire, se demande s’il ne devrait pas, plutôt, pleurer.

Corruption, petits arrangements « entre amis », malentendus culturels, blessures coloniales, la pièce vogue entre Beckett (En attendant Godot) et Feydeau (pour la comédie des apparences), tout en illustrant la fascination de cet homme blanc qui se croyait sur le toit du monde pour cette Afrique – représentée ici par les deux domestiques noirs, Louise et Panthère, dont la sensualité électrique fait tourner la tête à toute la maison – qu’il n’est jamais parvenu à considérer comme un partenaire égal et qui n’a plus besoin de lui.

Et Dyabanza, le ministre congolais, ne se prive pas de lancer à son « ami » Ruben: « Je n’ai rien contre les Chinois. Ils ne m’ont jamais rien fait. Ils ne sont jamais partis sur des navires en décrétant que les terres qu’ils accosteraient seraient à eux. Ils n’ont jamais imposé Confucius à qui que ce soit. Ils n’ont jamais imposé le mandarin à des peuples qui avaient leurs propres langues. Je ne sais pas si ce sera mieux avec les Chinois. Ce que je sais, c’est que cela ne pourra pas être pire qu’avec vous ». Nous voilà plongés, de la fiction, en pleine actualité politico-affairiste du Congo…

Après le succès obtenu par « Occident », le metteur en scène Frédéric Dussenne revient à l’écriture impitoyable d’un des plus grands auteurs de théâtre français contemporains: Rémi De Vos. Ce dialoguiste cruel et précis nous livre avec ce nouveau texte, publié chez Actes Sud cette année, un huis clos tropical cauchemardesque. « Botala Mindele » exprime le désarroi de l’homme blanc face à cette Afrique qui n’a plus besoin de lui. Comme dans un « palais des glaces », l’homme blanc se regarde, pris à son propre piège. La vision offerte par De Vos de la débandade occidentale, si elle est sans complaisance, est compensée par une humanité profonde qui ne condamne aucun personnage.

« Botala Mindele »

Du 12 septembre au 14 octobre 2017

  • Théâtre de Poche
    • Bois de la Cambre – Chemin du Gymnase 1a
    • 1000 Bruxelles
    • Réservations: 02 649 17 27

 

Par Polydor-Edgar Kabeya

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