Brandissant des portraits de leur « gourou » Gédéon Kyungu Muntanga dit « Nkambo » et le « drapeau de la République du Katanga », les maï maï « Bakata Katanga » ont fait à nouveau parler d’eux à Lubumbashi. Et ce à coup de feu. Dans la nuit de vendredi 25 et samedi 26 septembre, ils ont fait irruption dans la ville. Leur objectif était manifestement de s’emparer de la RTNC (radio-télévision nationale) et du siège du gouvernement provincial. Bilan provisoire: 16 miliciens et 3 éléments de la force publique tués. Qui tire les ficelles? Poser la question, c’est y répondre. L’évasion spectaculaire de « Gédéon » de la prison dite de « haute sécurité » de la Kasapa un certain 7 septembre 2011 et sa « reddition », tout aussi exceptionnelle, le 11 octobre 2016 – en présence de l’ex-gouverneur du H-Katanga Jean-Claude Musonda Kazembe et de Kalev Mutond, alors numéro un de l’Agence nationale de renseignements – tiennent lieu d’indices. Selon des sources lushoises, la ferme de John Numbi aurait servi de « planque » avant l’incursion sous examen.
Le 28 mars dernier, après une nouvelle incursion de ses miliciens au chef-lieu du Haut Katanga, « Gédéon » s’était volatilisé de la villa que « quelqu’un » louait pour lui dans le très chic Quartier Golf à Lubumbashi.
Lors d’une réunion du conseil des ministres qu’il avait présidée, début avril, Felix Tshisekedi Tshilombo, avait ordonné la « traque » de l’ex-chef milicien et évadé de la prison de Kasapa. Les poursuivants de celui-ci tardent à rendre compte de leur mission. « L’enquête est toujours en cours », selon la formule consacrée. Sabotage? Connivence?
Six mois après, les Bakata Kanta ont fait une « nouvelle promenade » sanglante dans l’ex-capitale du cuivre. « Ils voulaient hisser le drapeau de la République du Katanga à la place Moïse Tshombe, occuper la radio-télévision nationale et le siège du gouvernement provincial » indiquent des sources concordantes.
Lubumbashi est la deuxième ville du pays. Il apparait que la direction provinciale de l’Agence nationale de renseignements (ANR) n’a rien vu venir. Les renseignements généraux de la police et l’ex-Demiap (renseignements militaires), mêmement. La complicité parait certaine avec les « tireurs de ficelles ».
« KABILA » ET JOHN NUMBI AUX MANETTES
On a du mal à imaginer que deux à trois cents individus puissent accomplir, la nuit tombée, plusieurs kilomètres à pieds sans attirer la moindre attention des services en charge de la sécurité publique. Tout ceci s’est passé dans la soirée de vendredi 25.
Correspondante de Radio France International à Lubumbashi, la journaliste Denise Maheho n’a pas manqué de surprendre les auditeurs ayant suivi son « billet » au cours du journal parlé de samedi 26 à 12h30 TU. Elle a prétendu, avec une pointe de mauvaise foi, que les Bakata Katanga étaient « visiblement sans armes à feu ». Ce qui était parfaitement faux. La journaliste n’est pas revenue pour « corriger » cette contre-vérité. Décidément, il y a quelque chose de pourri dans « la province de Joseph Kabila », dixit Felix Kabange Numbi. Même les journalistes ne sont pas à l’abri.
Dans une communication faite samedi, le ministre provincial de l’Intérieur, Fulbert Kunda, a fixé l’opinion tant sur le modus operandi, le nombre de victimes que les motivations des « assaillants ». Il ne fait plus l’ombre d’un doute qu’il s’agit de miliciens « maï maï Mira » (Mouvement indépendantiste des révolutionnaires africains) de « Gédéon ». Selon lui, il y avait de deux groupes. Le premier était composé de deux cent individus munis d’armes à feu, de machettes et flèches. Le second, une centaine d’individus. On y dénombrait des femmes et des enfants. Bilan provisoire: 19 tués. A savoir; 16 miliciens et 3 membres de la force publique.
Selon le ministre Kunda, les policiers ont dû faire usage de gaz lacrymogène pour disperser les miliciens. Ceux-ci auraient riposté à coup de balles. C’est la déflagration.
Question: Qui manipule « Gédéon » Kyungu Mutanga et ses miliciens? Des observateurs avaient, samedi soir, les yeux braqués sur le duo « Joseph Kabila »-John Numbi Banza. Selon eux, les deux hommes « seraient aux manettes ». « Gédéon » est utilisé comme du « poil à gratter » pour « distraire » le président Felix Tshisekedi des véritables attentes de la population. Le même manège se déroule dans les deux Kivu et en Ituri avec des bandes armées nationales et étrangères.
FORCES D’AUTO-DEFÉNSE POPULAIRE
On semble oublier que « Kabila », Numbi et Gédéon sont de « vieilles connaissances ». Ils ont participé, en mars 1999, à la création, par LD Kabila, des « FAP » (Forces d’auto-défense populaire). Il s’agissait d’une milice chargée d’empêcher la prise de Lubumbashi par le mouvement rebelle pro-rwandais du RCD (Rassemblement congolais pour la démocratie). Et ce après la rupture de la « coopération militaire » avec l’Ouganda et le Rwanda fin juillet 1998.
En juillet 1999, Mzee Kabila signe l’accord de cessez-le-feu de Lusaka avec les différentes rébellions. Aussitôt après, les FAP sont livrées à eux-mêmes. Les armes et munitions reçues jadis leur ont permis de travailler « à leur propre compte ». La suite est connue avec l’axe infernal Pweto-Mitwaba-Malemba Nkulu. De 2002 à 2006, « Gédéon » et ses miliciens vont commettre des atrocités innommables.
En 2006, l’homme se rendit aux forces onusiennes au Congo au Katanga. Contre toute attente, il est logé avec épouse et enfants au messe des officiers à Lubumbashi. Ce beau monde sera nourri, au quotidien, par le gouverneur du Katanga d’alors, Urbain Kisula Ngoy.
Suite aux pressions de la communauté internationale et des activistes de la société civile, Gédéon est jugé par le tribunal militaire de garnison à Likasi. Le 5 mars 2009, il est condamné à la peine capitale et embastillé à la Kasapa. Le 7 septembre 2011, l’ex-chef milicien s’évade avec 963 prisonniers. Tout se passe en plein jour.
VIVEMENT DES PERMUTATIONS
Un coup de théâtre se produit en décembre 2013. Dans un rapport adressé à la présidence du Conseil de sécurité sur les bandes armées opérant au Congo-Kinshasa, des experts onusiens font état de « soupçons graves » qui pèsent sur l’ex-gouverneur de la Banque centrale, Jean-Claude Masangu, et le général John Numbi. Le premier serait le « financier » des Bakata Katanga. Le second, le fournisseur des armes et munitions. Aucune enquête n’a été menée pour faire éclater la vérité. Ces « révélations » ont été obtenues à l’issue d’interrogatoires de miliciens appréhendés en novembre 2013.
Début décembre 2014, le général Jean-Claude Kifwa créa un petit événement en invitant le fugitif Gédéon « à se rendre et à déposer les armes » pour bénéficier de la loi d’amnistie. Avait-il reçu le « feu vert » de « Kabila »? Il semble bien que oui. Il s’agissait sans doute d’un ballon d’essai pour jauger la capacité d’indignation de la population.
A la surprise générale, l’ex-chef milicien fait reddition le 11 octobre 2016. L’homme arborait à cette occasion un pull assorti du portrait de « Joseph Kabila » et un slogan: « Kabila shikata ». Dans le comité d’accueil, on notait la présence de Jean-Claude Musonda Kazembe et de Kalev Mutond, respectivement gouverneur du Haut-Katanga et patron de l’ANR d’alors. Point n’est besoin de faire un dessin pour constater que l’ex-président « Kabila » était le véritable « maître de cérémonie ». Ce qui s’est passé dans la nuit de vendredi à samedi à Lubumbashi est une tentative de « mouvement insurrectionnel ».
Selon des sources, les maï maï s’étaient « planqués » dans la ferme du général John Numbi avant de mener leur incursion. Cette information sera confirmée ou infirmée lors de l’audition des miliciens appréhendés. Jusqu’à quand va-t-on laisser l’ancien chef de l’Etat se comporter impunément en « tireur de ficelles » de Bakata Katanga et autres bandes armées qui déstabilisent le pays?
Baudouin Amba Wetshi