Soixante années après la proclamation de l’indépendance du Congo ex-belge, le politicien congolais, à quelques rares exceptions près, n’a pas changé. Il est resté immature, bête et méchant. Il est resté populiste, affabulateur, intolérant et surtout incapable de se mettre au-dessus des dissensions dérisoires et autres antagonismes égoïstes. Le politicien congolais est resté médiocre.
Que les médiocres dégagent. Contrairement aux idées reçues, le mot « médiocre » n’est pas une injure en soi. Bien au contraire. Il s’agit d’un constat. Le constat d’une insuffisance. Le constat d’une incapacité. « Que les médiocres dégagent », déclarait, en janvier 2018, le cardinal Laurent Monsengwo Pasinya. L’ancien archevêque de Kinshasa ne faisait que constater que les gouvernants en place n’étaient guère à la hauteur de leur charge. Ils étaient incapables de promouvoir non seulement le progrès mais aussi la paix et la justice au point de transformer la capitale congolaise en une « prison en plein air ».
Depuis soixante ans, le professionnel congolais de la politique est resté un « commun de mortels » au lieu d’être le « meilleur parmi nous ». Ce commun de mortels ignore des notions essentielles pour une vie collective harmonieuse: la justice, la paix, la solidarité, l’unité, la tolérance. Bref, le bien commun.
Depuis soixante ans, le politicien congolais d’hier et d’aujourd’hui préfère servir un homme plutôt qu’une idée. Une politique. Ces politiciens considèrent le pouvoir comme le bien personnel d’un clan au sommet duquel se trouve une prétendue « autorité morale », vénérée et élevée au rang de « demi-dieu ».
Un certain Felix Kabange Numbi. Vingt mois après l’investiture de Felix Tshisekedi Tshilombo à la tête de l’Etat, « Joseph Kabila » et les apparatchiks qui gravitent autour de lui ont les nerfs à vif. L’homme qui était censé servir de « faire-valoir » commence à s’émanciper. Aussi, piaffent-ils d’impatience de récupérer « leur » pouvoir. Un pouvoir d’Etat qu’ils considèrent comme un « héritage » leur légué par on ne sait qui. « Nous ne sommes pas prêts de céder le pouvoir à n’importe qui », déclarait Zoé « Kabila », sans doute par « procuration », en septembre 2016. . Les caciques du Fcc/Pprd sont prêts à faire feu de tout bois y compris de jouer la carte du séparatisme.
C’est le cas notamment d’un certain Felix Kabange Numbi qui est devenu politicien par « génération spontanée » durant les dix-huit années de pouvoir de « Kabila ». Natif du pays Lubakat, médecin de profession, cet homme est un politicien d’une rare médiocrité. Depuis plus de soixante-douze heures, cet ancien ministre de la Santé, étiqueté Fcc/Pprd s’est mis tristement en vedette. Député national, élu ou nommé lors des consultations politiques chaotiques du 30 décembre 2018, il a tenu des propos indignes d’un « élu du peuple ».
Pprd, parti-Etat de fait. Pendant que des « tueurs non-identifiés » sont occupés à occire impunément des paisibles citoyens dans les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri, sieur Kabange Numbi a jugé opportun de faire une sortie médiatique le jeudi 10 septembre à Lubumbashi. Il a proféré des menaces à l’égard de ceux qui, selon lui, mènent une « campagne de dénigrement » à l’encontre du gouverneur du Haut-Katanga, Jacques Kyabula Katwe. Celui-ci porte également la casquette de président provincial du Pprd (Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie). Un anachronisme qui fait de la mouvance kabiliste un parti-Etat de fait. Au nom de quel principe une autorité publique peut s’auto-proclamer « inattaquable » sur sa gestion?
Chacun a un chez soi? D’après l’ex-ministre de la Santé, le gouverneur Kyabula est un « intouchable ». L’ex-président « Kabila », mêmement. « Chacun a un chez soi. Ici, dans l’espace Katanga, c’est chez Joseph Kabila. Nous ne tolérerons plus que quelqu’un vienne injurier Joseph Kabila qui, à 45 ans, a accepté d’abandonner le pouvoir ». En clair, on peut critiquer le successeur de Mzee partout ailleurs sauf dans « l’espace Katanga ».
Les propos de Felix Kabange ont ravivé des souvenirs douloureux dans les esprits. Les Zaïro-Congolais se sont souvenus de la chasse aux Luba du Kasaï dans le Shaba-Katanga. C’était en août 1992, au lendemain de l’élection d’Etienne Tshisekedi wa Mulumba au poste de Premier ministre en remplacement du « katangais » Jean Nguz a Karl i Bond.
Médecin de son état, on imagine que Kabange Numbi sait lire. Et qu’il se donnera la peine de parcourir les articles 13, 51, 63 et 66 de la Constitution. Ces dispositions stipulent, dans leur esprit, que le citoyen congolais est chez lui dans les 26 provinces du pays. Il ne peut, de ce fait, faire l’objet d’une quelconque discrimination. Le second alinéa de l’article 51 va plus loin en assignant aux autorités du pays le devoir d’assurer « la protection de toutes les minorités ». Un Luba du Kasaï est parfaitement en droit de résider dans « l’espace Katanga ». Un natif de cette dernière contrée peut faire de même au Kasaî ou ailleurs. Tous les Congolais sont historiquement chez eux au Congo-Kinshasa.
« Joseph Kabila » est chez lui dans « l’espace Katanga ». Allons donc! Né à Lulenge, Fizi, Mpiki, Yungu et… Hewa Bora II, « Joseph Kabila » reste un mystère pour ses « compatriotes ». Personne ne connait à ce jour le véritable lieu de naissance de l’ex-raïs. Personne ne connait non plus sa véritable identité. Kanambe? Mtwale? Kabila? Personne ne connait enfin son parcours personnel.
C’est en juin 2006, un mois avant le premier tour de l’élection présidentielle, que le Grand Chef Kasongo Nyembo a « décrété », à l’issue d’une entrevue avec le vice-président Abdoulaye Yerodia, que le successeur de Mzee était un « Mulubakat à 100% ». Un cas sans précédent dans l’histoire du Congo-Zaïre.
N’appartenant à aucune tribu ou ethnie de ce pays, « Kabila » n’a cure de l’unité nationale. L’homme et sa fratrie n’ont aucune attache affective avec un pays qui n’est pas le leur. Un pays qui ne les a vus ni naître ni grandir. Un pays dans lequel ils refusent de s’intégrer. C’est de la pure mystification de soutenir que « Joseph Kabila est chez lui dans l’espace Katanga ». En dix-huit années de pouvoir (2001-2019), quelles sont les réalisations de « Kabila » dans « l’espace Katanga »?
Sieur Kabange Numbi Felix a intérêt à lire l’article 6 de la Constitution qui énonce que le « pluralisme politique est reconnu ». L’opposition s’exerce, dès lors, au grand jour. Le rôle de l’opposition consiste justement à s’opposer en formulant des critiques sur la conduite des affaires publiques. La démocratie, c’est le débat permanent. Tous les courants politiques s’expriment sur un pied d’égalité.
« Pauvre Kabila » qui a « abandonné » le pouvoir à 45 ans. Né officiellement en juin 1971, « Kabila » a accédé au sommet de l’Etat le 26 janvier 2001 par un accident de l’histoire. Il devait avoir 29 ans. Il a quitté le pouvoir le 24 janvier 2019, à 46 ans, soit deux années après l’expiration de son second mandat. L’homme n’a pas « abandonné » le pouvoir par conviction à l’alternance comme semble suggérer Felix Kabange Numbi. « Kabila » a été contraint de faire un pas de côté par des pressions tant internes qu’externes. Les manifestations réprimées du 31 décembre 2017, du 21 janvier et 25 février 2018 sont là pour rafraîchir les mémoires.
Felix Kabange Numbi devrait revoir ses « fiches ». Il lui sera loisible d’apprendre que « Joseph » et sa fratrie – qui étaient pauvres comme Job à leur arrivée dans l’ex-Zaïre fin 1996 – sont devenus immensément riche. Le journaliste d’investigations Richard Miniter attribue à l’ex-Président une fortune estimée à 15 milliards de dollars. Que dire de toutes ces sociétés attribuées à « la famille »? C’est le cas notamment d’Egal qui a le monopole de l’importation de vivres frais. Que dire de Trafigo Sarl qui sous-traite les activités douanières de la DGDA (Direction générale des Douanes et Accises) au poste-frontière de Kasumbalesa?
Le silence du gouverneur du Haut-Katanga. Le député national Kabange Numbi est un médiocre politicien. Il n’est pas digne de siéger à l’Assemblée nationale. La tentation est forte de dire autant du gouverneur Jacques Kyabula qui était présent au moment des faits. Par son silence, ce dernier a manqué au devoir d’assurer la « coexistence pacifique harmonieuse » de tous les groupes ethniques vivant dans la province du Haut-Katanga (article 51-1). Les deux politiciens ont commis une faute politique.
Il revient aux autorités judiciaires d’examiner l’opportunité d’engager des poursuites. Il s’agit de mettre solennellement en garde tous les apprenti-pyromanes au service de « Kabila » dont la mission est de faire imploser l’unité nationale.
Baudouin Amba Wetshi