Ambassadeur du Rwanda à Kinshasa depuis le mois de juillet dernier, Vincent Karega est déclaré… « persona non grata » par une opinion congolaise qui lui reproche d’avoir tenu des « propos désobligeants » vis-à-vis de l’Etat accréditaire. Une pétition a été lancée par des activistes de la société civile afin d’obtenir son expulsion. C’est un cas sans précédent dans l’histoire de la diplomatie zaïro-congolaise. A l’analyse, on voit mal le gouvernement congolais faire droit à cette « exigence populaire ». Il reste que le diplomate rwandais aura du mal à redorer son image. Il s’est décrédibilisé.
Dans un communiqué conjoint daté du 27 août 2020, les organisations citoyennes « Lucha » et « Filimbi » demandent au gouvernement congolais de procéder à l’expulsion « sans délai » de l’ambassadeur Vincent Karega. Le même jour, l’opposant Martin Fayulu Madidi, président de l’ECIDé et membre de Lamuka, a enfoncé le clou en déclarant que ce diplomate « doit être purement et simplement expulsé de notre pays ».
Au commencement était un tweet posté le 24 août par le Congolais Benjamin Babunga en commémoration du massacre de Kasika (Sud-Kivu). Une tuerie massive imputée aux militaires rwandais, un certain 28 août 1998. « Des militaires rwandais tuent sans relâche plus de 1.100 personnes, brûlant des villages entiers sur un trajet de 60 kilomètres, de Kilungutwe à Kasika. Parmi les victimes, Mwami François Mubeza et l’Abbé Stanislas », écrivait le Congolais.
Sur un ton empreint de condescendance, l’ambassadeur Vincent Karega réagit: « Incohérence flagrante entre image et histoire. Narratif simpliste pour des accusations graves. Accuser sans évidence s’appelle calomnie. Villages sans noms, 1.100 morts avec deux noms. Circonstances de crimes et identité de criminels non dévoilée. Accusation ou propagande? »
Karega assure être natif de Walungu au Sud-Kivu. Il aurait étudié à l’université de Lubumbashi de 1984 à 1989. En parcourant son CV, il apparaît que l’homme a rejoint le régime du FPR (Front patriotique rwandais) en 1995. Des cas semblables sont légion. A titre d’exemple, Manzi Bakuramutsa, représentant du PNUD (Programme des Nations Unies pour le développement) au Mali en tant que Zaïrois, a rejoint les nouveaux maîtres de Kigali sans restituer, au préalable, son passeport diplomatique. L’ex-Zaïrois sera nommé successivement ambassadeur du Rwanda aux Nations Unies à New York et à Bruxelles.
Karega pouvait-il ignorer que dès le mois d’octobre 1996, les troupes rwandaises ont agressé le territoire du pays qui s’appelait encore Zaïre sous couvert de la « rébellion des Banyamulenge » ? Monseigneur Christophe Muzihiriwa a été tué lors de ces attaques.
« EXPULSION SANS DÉLAI »
Dans leur communiqué, les mouvements Filimbi et Lucha justifient leur demande en qualifiant l’attitude des autorités rwandaises de « révisionniste » et de méprisante « envers les victimes de leurs crimes ». Ils demandent au gouvernement congolais « d’expulser sans délai » l’ambassadeur rwandais « en signe de protestation contre l’attitude de ce dernier et les menaces de James Kabarebe contre docteur Denis Mukwege ». Un sit-in est prévu le vendredi 4 septembre 2020 devant… la résidence de l’ambassade du Rwanda.
C’est la première fois que la « clameur publique » (rien de péjoratif) exige le départ d’un chef de mission diplomatique. Comme pour relativiser cet « incident », le ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement Jolino Diwampovesa Makelele a eu ces mots: « J’attache peu de considération à ce genre de déclaration au risque de jeter l’huile sur le feu ». On peut gager qu’il s’agit de la position du gouvernement congolais.
La diplomatie a pour objectif la paix. Depuis son avènement à la tête du Congo-Kinshasa, le président Felix Tshisekedi n’a jamais fait mystère de sa volonté de promouvoir la « paix » et des « relations amicales » avec les 9 voisins qui entourent le Congo-Kinshasa.
Le premier alinéa de l’article 41 de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques stipule: « Sans préjudice de leurs privilèges et immunités, toutes les personnes qui bénéficient de ces privilèges et immunités ont le devoir de respecter les lois et règlements de l’Etat accréditaire. Elles ont également le devoir de ne pas s’immiscer dans les affaires intérieures de cet Etat ».
A première vue, les faits reprochés au diplomate rwandais n’entre pas dans cette définition. On pourrait, à la rigueur, reprocher à l’intéressé d’avoir tenu des « propos désobligeants » à l’égard du pays d’accueil. Que faire? La problématique reste un véritable casse-tête diplomatique.
Ancien ambassadeur du Rwanda en Afrique du Sud, Karega suscite, à tort ou à raison, une vive méfiance au sein d’une opinion congolaise qui garde encore des plaies psychologiques non-cicatrisées en ce qui concerne le Rwanda de Paul Kagame. Une certitude: Vincent Karega aura un « mandat pourri ». Il s’est décrédibilisé auprès de la très bouillante société civile congolaise…
Baudouin Amba Wetshi