Police judiciaire et IGF: Gare à l’auto-pub’

La tentation de se valoriser, appelée également l’auto-pub, est un mal qui n’épargne personne. Et ce y compris les organismes et services publics soumis pourtant au « devoir de réserve ». Depuis plusieurs semaines, l’IGF (Inspection générale des finances) et la police judiciaire des parquets ont déployés des enquêteurs « sur le terrain ». Les fuites volontaires et involontaires ne se comptent plus. Et pourtant, ces deux entités sont censées travailler dans la discrétion sous la direction du ministère public. Le procureur.

Ceux qui ont l’habitude de suivre les médias kinois diffusés sur You Tube ont sans doute appris que des agents de l’IGF enquêtent actuellement sur des exemptions que la DGDA (Douanes) aurait accordées à certaines entreprises évoluant dans l’import-export à nos principaux poste-frontières. Après Matadi, au Kongo Central, des inspecteurs sont attendus à Kasumbalesa, province du Haut Katanga.

Jules Alingete Key, Inspecteur général des finances

Selon ces sources, les investigateurs de l’IGF auraient déjà répertorié 1.326 entreprises qui jouissent de ce « privilège » appelé communément « exonération ». Une situation qui ferait perdre à l’Etat congolais pas moins de cinq milliards de dollars US. Les mêmes sources indiquent que la société « Egal », spécialisée dans l »importation des produits frais, serait dans le viseur des investigateurs. Cette entreprise est réputée proche de la famille de l’ex-président « Joseph Kabila ». Albert Yuma Mulimbi serait le président du conseil d’administration.

L’IGF a lancé un « spot publicitaire » sous la forme d’un sketch pour soutenir sa campagne de sensibilisation à la bonne gestion des « finances et biens publics ». Des comédiens kinois ont été mis à contribution. On reconnait notamment Saï-Saï, Esobe et Kalunga. En résumé, le premier joue le rôle d’un « ministre » qui exhorte un de ses conseillers à ajouter deux zéros sur une facture de 90 millions de Francs congolais. « Neuf milliards! », s’écrie le conseiller. Réplique du ministre: « Tu veux qu’on sorte les poches vides de ce gouvernement? » Un slogan de l’IGF apparaît aussitôt: « Les finances et biens publics sont une propriété de l’Etat qui doivent être bien gérés ».

Vendredi 7 août, le « Service de presse de la police judiciaire des parquets » a publié un communiqué sur papier à en tête du « Quartier général de la Police Judiciaire des Parquets » mieux connu sous l’appellation « Casier judiciaire ». Le texte est signé par Albert Kibwe Kasali, directeur administratif et services généraux.

DES FAITS INFRACTIONNELS DOCUMENTÉS

On y apprend que la police judiciaire des parquets a mobilisé cinq équipes d’inspecteurs judiciaires qui opèrent depuis trois semaines. Ces derniers ont « documenté » plusieurs « faits infractionnnels ». « Il se trouve que parmi les dossiers phares, précise le texte, il y a des cas où certaines entreprises et sociétés minières, pétrolières et de commerce général ont, d’une part, minoré leurs productions pour amenuiser leurs impôts sur les bénéfices, et, d’autre part, ont déclaré des pertes pour ne pas payer conséquemment les impôts par rapport aux bénéfices et profits réalisés, alors que les investigations menées par les inspecteurs judiciaires, sur le plan international, étant entendu que celles-ci font partie des consortiums, démontrent qu’elles ont réalisé de gros bénéfices ».

Et de poursuivre que les enquêtes en cours « ont permis de découvrir » des personnalités politiques « qui occupent actuellement de très hautes fonctions » parmi les administrateurs et auditeurs internes dans les entreprises épinglées. « En outre, la police judiciaire des parquets a cerné certains procédés mis en place par les importateurs, exportateurs, commissionnaires en douane et contribuables avec la complicité des agents et cadres des régies financières, aux fins de priver l’Etat de ses ressources », souligne le communiqué. Et de conclure: « La police judiciaire des parquets travaille sereinement pour débusquer tous ces mécréants ». Quid de la présomption d’innocence? Là n’est pas le débat.

QUI SURVEILLE LE GENDARME?

Victor Mumba Mukomo, procureur général près la Cour de cassation

Tout en saluant le travail effectué tant par les inspecteurs des finances que les inspecteurs judiciaires des parquets – en application de la politique de lutte contre l’impunité et la corruption chère au président Felix Tshisekedi Tshilombo -, certains observateurs se sont émus de cette « auto-pub » à laquelle se sont livrés ces officiers de police judiciaires (OPJ). « Les OPJ travaillent sous l’autorité du parquet, tonne un avocat lushois. Ils n’ont pas à jouer aux stars. Leurs missions consistent à constater les infractions, en rassembler les preuves avant de rechercher les auteurs ». Un autre d’enchaîner: « Les OPJ sont des auxiliaires de la justice répressive. Leurs enquêtes visent non pas à faire leur publicité auprès du grand public mais à éclairer le ministère public sur l’opportunité des poursuites. Point barre ».

D’aucuns s’interrogent sur l’objectif poursuivi par la Police judiciaire en alertant implicitement les personnes physiques et morales concernées par ces enquêtes. « Est-ce pour provoquer la frousse afin d’inciter les concernés à engager des négociations secrètes contre espèces sonnantes et trébuchantes? », s’interroge un pénaliste qui redoute que ces « révélations » n’aient pour effet de « pourrir » un climat politique déjà détestable. Et de ricaner: « Qui surveille le gendarme? ».

On espère que le procureur général près la Cour de cassation, Victor Mumba Mukomo, aura à cœur de « rappeler à l’ordre » tant l’Inspecteur général des finances que l’Inspecteur général de la police judiciaire des parquets. Ce serait l’occasion de leur rappeler la discrétion qui doit entourer leur travail sous la direction du ministère public. « Le ministère public est le consommateur final du travail des OPJ et non le grand public. Les enquêteurs n’ont pas à s’engager sur le terrain mouvant de la communication juste pour flatter quelques egos hypertrophiés », conclut notre expert.

 

Baudouin Amba Wetshi

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