L’allocution – en français et en lingala – prononcée, jeudi 23 juin, par l’ambassadeur américain à Kinshasa, James C. Swan, lors de la commémoration du 240ème anniversaire de la déclaration d’indépendance des Etats-Unis, est au centre de toutes les conversations. Et ce aussi bien dans le pays que dans les milieux de la diaspora congolaise. Ce speech fait un tabac sur les réseaux sociaux.
Les « propos amicaux » de James C. Swan ne sont pas sans rappeler un communiqué au ton comminatoire adressé au personnel politique zaïrois par l’ambassadeur américain d’alors, Daniel H. Simpson. C’était en 1996. A l’époque, la situation politique était dans l’impasse. Le bras de fer Mobutu-Tshisekedi faisait rage.
N’en déplaise aux pseudo-nationalistes de gauche ainsi qu’aux « souverainistes » autoproclamés, le diplomate américain n’a fait que soulever, à haute et intelligible voix, une question qui préoccupe non seulement les « amis du Congo » mais surtout les 70 millions des Congolais face à l’incertitude ambiante. Cette question cruciale se déclame comme suit: Où va le Congo-Kinshasa?
Tous les observateurs de la politique congolaise retiennent leur souffle face au duel – à mort? – annoncé entre le président sortant « Joseph Kabila » – qui ne fait plus mystère de sa volonté de rempiler en dépit de l’interdit constitutionnel – et les forces politiques et sociales de l’opposition qui paraissent décidées à le contraindre à respecter la Constitution.
La « communauté internationale », elle, veille au grain. Elle n’entend en aucun cas laisser une bande d’inciviques démolir l’édifice institutionnel bâti péniblement après le dialogue inter-congolais.
Ne comprenant que le langage de la force brutale, l’actuel locataire du Palais de la nation reste sourd. L’homme reste muré dans ses certitudes. Après avoir multiplié des subterfuges pour bloquer le processus électoral, il compte désormais sur une force publique acquise à sa cause pour imposer au peuple souverain sa soif du pouvoir pour le pouvoir.
L’arrêt controversé de la Cour constitutionnelle du 11 mai autorisant « Joseph Kabila » à rester en fonction jusqu’à l’installation du nouveau président élu (?) semble avoir rendu fou certains caciques de la majorité présidentielle. « Les élections n’auront pas lieu en 2016 », claironnait, la semaine dernière, le secrétaire général adjoint du PPRD, le très prétentieux Emmanuel Ramazani Shadari.
Après « Kabila Umela », (Traduction: restes à ton poste) un autre slogan a vu le jour au sein de la direction du PPRD: « On ne prend pas la retraite à 45 ans ». Quid alors du serment fait, le 20 décembre 2011, par le président sortant « d’observer et de défendre la Constitution et les lois de la République »?
L’ambassadeur américain a pris les kabilistes au mot. Jetant un regard rétrospectif sur l’histoire des Etats-Unis, il a relevé que le président Thomas Jefferson, âgé alors de 33 ans, a procédé, après deux mandats, à « la première passation de pouvoir pacifique d’un parti à un autre dans une république moderne ». Une manière de rappeler aux Zaïro-Congolais que l’exercice du pouvoir d’Etat n’est nullement une carrière. C’est une charge.
Pour Swan, le président Jefferson a respecté la tradition d’une présidence à deux mandats établie par le tout premier président américain, George Washington. Suivez son regard.
Le diplomate américain s’est, par ailleurs, inquiété du verrouillage des espaces de liberté au Congo-Kinshasa déplorant, au passage, les intimidations et le harcèlement dont sont victimes tous ceux qui tiennent un discours contraire à l’orthodoxie d’Etat. Pour lui, il ne peut y avoir de « démocratie durable » sans débat contradictoire.
Avant de terminer son adresse en français, James C. Swan s’est adressé à l’assistance en lingala durant plus ou moins trois bonnes minutes.
Bien que le texte fût écrit par un excellent linguiste et que la prononciation du diplomate rappelait celle des prêtres européens qui évoluent au Congo, le message est parfaitement clair. Le diplomate a voulu communier avec les Congolais dans la langue du cru en demandant aux « élites » de jouer leur rôle qui consiste à montrer le chemin.
On ne le dira jamais assez que depuis son accession à la tête de l’Etat en janvier 2001 à ce jour, « Joseph Kabila » vit dans une citadelle assiégée. L’homme aime la distance. Il évite toute proximité avec la population congolaise. En ce siècle de l’information continue et de la communication, ce dernier n’est jamais là où on l’attend. Il « communique » via des « sous-traitants » que sont les Lambert Mende, André Alain Atundu, Ramazani Shadari, Mova Sakanyi etc. Des pyromanes.
En faisant une partie de son discours dans la langue la plus parlée du Congo-Kinshasa, l’ambassadeur James C. Swan a manifesté du respect vis-à-vis de la culture d’un peuple qu’il connait bien. Il a assumé, de 2001 à 2004, les fonctions de numéro deux de cette mission diplomatique. Il a été promu ambassadeur en août 2013.
La langue lingala imposée, comme langue de la Force publique en 1886 par le Roi Léopold II – et vulgarisée par les artistes musiciens congolais -, est devenue un patrimoine national. Cette langue n’appartient plus aux natifs de l’ancienne province de l’Equateur.
Le diplomate américain a ainsi ringardisé « Joseph Kabila » qui, près de vingt années après avoir foulé le sol zaîro-congolais, n’a jamais osé haranguer les Kinois (+/- 10 millions d’âmes) en lingala. Le président sortant et sa fratrie donnent l’impression d’être « de passage ». Ils sont mal aises d’être Congolais avec les Congolais. Devrait-on parler de refus d’intégration?
On peut s’interroger sur la motivation qui pousse « Joseph Kabila » à s’accrocher au pouvoir. Devrait-on donner raison à ceux qui allèguent, à tort ou à raison, que l’homme serait « chargé d’une mission »? Laquelle?
Baudouin Amba Wetshi