Le procès « Programme d’urgence des 100 jours »: le décor planté d’un jugement en appel entaché des vices de procédure?

Richard Tony Ipala Ndue-Nka

Dans la foulée des condamnations pénales et civiles prononcées le 20 juin dernier, à charge des sieurs Vital Kamerhe, Samih Jammal et Jeannot Muhima même s’il appert que les faits leur reprochés paraissent véritablement incontestés, la procédure suivie ainsi que la décision qui en découle suscitent néanmoins de divers griefs d’ordre juridique au point qu »ils retiennent, à cet égard, toute notre attention à plus d’un titre.

Il s’agit, en effet, des reproches ayant trait: -1° à la saisine du Tribunal de Grande Instance de Kinshasa-Gombe de juger sieur V. Kamerhe, en sa qualité de directeur du cabinet de chef de l’Etat alors qu’il bénéficie du privilège de juridiction de comparaître devant la Cour d’appel siégeant en premier ressort, à celle de juger sieur Samih Jammal en procédure de blanchiment des capitaux et de lutte contre le financement de terrorisme sans une plainte préalable déposée par la Cellule Renseignements Financiers, -2° à l’illégalité de la peine accessoire de confiscation spéciale des titres de propriété, et partant des biens immobiliers y afférents appartenant aux proches de sieur V. Kamerhe qui, du reste, ne sont pas parties au procès.,-3° et enfin à la condamnation de sieur Samih Jammal, à titre personnel, en responsabilité civile et aux frais de justice, alors qu’il a agi au nom et pour le compte des deux personnes morales de droit privé en l’occurrence les Sociétés SAMIBO et HUSMAL, toutes deux des sociétés anonymes (SA), jouissant chacune de la personnalité juridique sans être mises en cause.
Il est à noter, à toutes fins utiles, que le droit de suite exercé sur les biens immobiliers acquis en fraude par les tiers dont question ci-avant  via la peine de confiscation spéciale en vertu de l’article 14 du Code pénal L. I  est envisageable sur les produits de l’infraction de blanchiment des capitaux conformément à loi de 2004 y relative. Celle-ci est à mettre en combinaison  avec l’article premier du Code pénal L. I. pour autant que les acquéreurs desdits biens immobiliers soient mis en cause devant le juge ou que la confiscation porte sur les revenus locatifs ou sur les produits de vente des biens immobiliers ou sur les saisies exécutions immobilières. En effet, cette disposition de l’article premier du code pénal LI prescrit que les conditions  socialement obligatoires ou interdites doivent être expressément comprises dans un texte de même que leurs sanctions. C’est l’évidence même du principe sacré de la légalité des infractions et des peines y afférentes prévue par l’article 17 alinéas 3 et 4 de la Constitution qui y va de sécurité juridique, de transparence, de protection, à la fois, de l’ordre social et des libertés individuelles exigeant  la prévisibilité, l’une des qualités de la loi. ( J. P Kilenda Kakengi Basila,  » Le contrôle de la légalité des actes du magistrat, » Academia-Bruylant, Louvain-la-Neuve, 2005,p. 36).

C’est pourquoi, la présente approche s’est fixée comme cap d’éplucher lesdits griefs de la manière suivante pour des alternatives durables sur la forme:

1. De la saisine irrégulière opérée par le Ministère public devant le juge  du Tribunal de Grade Instance de Kinshasa-Gombe

Concernant les préventions des détournements des deniers publics d’un montant de l’ordre 48.000.000 USD et de la corruption mises à charge de sieur V. Kamerhe, nous n’avons jamais cessé de rappeler au ministère public ainsi qu’au juge que la qualification de fonctionnaire de l’Etat, doté d’un mandat public, attribuée au prévenu en raison de sa nomination en qualité du directeur de cabinet du chef de l’Etat n’épuise pas leur logique jusqu’au bout. En effet, en exécution des contrats portant grands travaux de construction avenus entre l’Etat et les sociétés SAMIBO et HUSMAL, SA, représentés respectivement par le prévenu et le co-prévenu Samih Jammal,  les conséquences juridiques en appellent à la transposition de grade du directeur de cabinet du chef de l’Etat de sieur V. Kamerhe dans l’échelle des grades reconnus dans la fonction publique et ce, en rapport aux articles 145 et 147 du Code pénal l. II tel que modifié, 91 du nouveau Code relatif aux juridictions de l’ordre judiciaire. Cette disposition régit le privilège de juridiction en faveur de tout fonctionnaire des services publics de l’Etat et dirigeants des établissements ou entreprises publiques revêtus au moins du grade de directeur ou du grade équivalent dont la comparution, en matières répressives, est garantie devant la Cour d’appel siégeant en premier ressort..

A ce titre, le prévenu V. Kamerhe aurait dû comparaître devant  la Cour d’appel de Kinshasa-Gombe. en qualité de haut fonctionnaire, non pas de carrière, mais plutôt, de fait. Il s’agit également de la théorie d’apparence en vertu de laquelle la seule apparence suffit à produire des effets à l’égard des tiers qui, par suite d’erreur légitime, ont ignoré la réalité. (G. Cornu, Vocabulaire juridique, PUF, Paris, 2000, pp. 59 et 60.). La logique y imprimée est tellement évidente que le susdit fonctionnaire de fait ne peut ni être assimilé ni être justiciable devant le juge en étant revêtu du grade d’huissier ou d’attaché de bureau ou de chef de bureau ou de chef de service ou celui de chef de division. Au contraire, il peut se prévaloir, en droit, au moins du grade de directeur ou à tout au plus de celui de secrétaire général dans l’échelle des grades dans la fonction publique ou encore des grades de directeur ou du président directeur général des établissements ou entreprises publiques. Aussi, n’est-il pas surprenant de constater que le ministère public ainsi que le juge se soient éloignés délibérément ou par ignorance de l’application pertinente faite par la doctrine et la jurisprudence majoritaire de la Cour suprême de justice au sujet de l’application des articles 145 et 147 du Code pénal L. II tel que modifié mis en combinaison avec l’article 91 susmentionné. (Nyabirungu Mwene Songa, « La corruption des fonctionnaires publics: approche sociologique et juridique, R. J. Z, 1976, p. 44; Général Likulia Bolongo, « Droit pénal spécial zaïrois« , 2ième édition, L. G. D. J, Paris, 1985, pp.  420 et 421; C. S. J, RP 14, 07 avril 1970, R. J. C, 1970, p. 128; C. S. J, RPA 68, 11 juin 1981, in Dibunda Kabuinji, Répertoire Général de Jurisprudence de la Cour Suprême de Justice, 1969-1985, CPDZ, Kinshasa, 1990, no 24, p. 18; C. S. J, RPA 113, 21 février 1986, Bull, 2002, p. 131). 
Les règles  de compétence territoriale ou matérielle ou personnelle en matières répressives sont d’ordre public de sorte que ni l’accord des parties ni l’acquiescement a posteriori ne pourrait, en aucun cas, proroger la compétence d’une juridiction pénale ou mieux régulariser une dérogation à la loi. (A. Rubbens, « Le droit judiciaire congolais« , t. III, Larcier, Bruxelles, 1965,  no 87, p. 112; C. A. L’shi, 12 juillet 1966, R. J. C, 1966 p. 337 avec note de E. Lamy).

D’un même contexte, l’action mue contre sieur Samih Jammal, en blanchiment des capitaux pour un montant de 20.000.000 USD transféré frauduleusement au Liban au préjudice de l’ Etat congolais, est en violation des articles 17 et 23 de la loi no 04-016 du 19 juillet 2004 portant lutte contre le blanchiment des capitaux et financement de terrorisme. Il appert de toute évidence que la Cellule des Renseignements Financiers n’a pas déposé plainte, au vu des indices  sérieux de culpabilité, auprès du ministère public. En agissant d’office sur la base de l’injonction positive donnée par le ministre de la Justice et garde des sceaux, le ministère public a violé la loi, et son action est ainsi irrecevable.

L’affirmation de ce pouvoir d’appréciation préalable dans le chef de la Cellule des Renseignements Financiers est également consacrée par le Décret no 8-20 du 24 septembre 2008 portant création dudit service public à caractère administratif et technique doté d’une personnalité juridique et de l’autonomie financière, et indépendant dans l’accomplissement de sa mission. Pareille théorie prétorienne en vertu de laquelle le pouvoir du ministère public est limité dans l’exercice de l’action publique a déjà fait  application pertinente par la Cour suprême de justice dans le cadre de la répression de la fraude en matière de violation de réglementation de change. Elle y a dit qu’en matière d’infraction à réglementation de change, à défaut de plainte déposée par la Banque du Zaïre, aucune condamnation pénale ni des dommages et intérêts résultant de cette infraction ne peuvent être prononcés, ce qui entraîne cassation sans renvoi (C. S. J, RP 79, 25 juillet 1973, Bull, 1974, p. 144; C. S. J, RP,174 04 juillet 1977, Bull, 1978, p. 66; C. S. J, 05 décembre 1980, Bull, 2001, p. 123).

D’aucuns soutiennent, par ailleurs, que l’action publique entreprise par le ministère public est recevable au motif que le fonctionnement de la Cellule des Renseignements financiers, dont question, ne serait plus opérationnel, depuis bientôt cinq ans à la suite du décès de l’animateur principal, le  premier Avocat général de la République Katuala Kaba Kashala. Quelle que soit l’invocation d’un tel moyen, il est, quant à nous, sans effet d’autant que la loi pénale ne connait pas l’abrogation par désuétude  » ineffectivité« . En effet, le fait que la violation de la loi sur le blanchiment des capitaux pendant un certain temps, sans qu’il y ait eu ni enquête ni instruction ni poursuites de la part de ladite Cellule des Renseignements Financiers, ne signifie pas que cette loi ait perdu son caractère obligatoire et impersonnel. (C. Hennau et J. Verhaegen, Droit pénal général, 2ième édition, Bruylant, Bruxelles, 1995, pp. 84 et 85).

2. De la violation de l’article 14 du Code pénal L. I concernant la confiscation spéciale des biens immobiliers et la condamnation des personnes non  citées à comparaître en justice

Interprétant l’article 14 du Code pénal L. I, le juge a ordonné la confiscation des huit titres de propriété portant biens immobiliers appartenant aux proches de sieur V. Kamerhe au motif qu’ils forment l’objet et les produits des infractions des détournements des deniers publics et de corruption lui reprochés.

Mais, cette peine y prononcée encourt, de notre part, des reproches des trois ordres comme suit:

  1. les biens concernés sont immobiliers, et non pas, mobiliers. Or, de par la loi, le législateur vise les biens meubles excluant les immeubles puisque, d’une part, ceux-ci font partie des biens de nature collective lesquels appartiennent à la famille du condamné, et d’autre part, procéder à leur confiscation aboutirait, dans la majorité des cas, à rétablir sous forme déguisée la peine de confiscation générale des biens prévue par la loi no 73-017 du 05 janvier 1973 laquelle est abrogée par l’0. L. no86–30 du 05 avril 1986 (J.0, spécial du 30 novembre 2004, p. 35);
  2. la loi exige que les biens faisant l’objet de l’infraction soient la propriété du condamné, ce qui n’est pas le cas des biens visés appartenant aux tiers même s’il s’avère qu’ils sont des proches du prévenu et ne justifient pas les conditions transparentes d’acquisition, et qu’Ils éveillent de graves soupçons de recyclage des sommes d’argent détournées dans les circuits financiers afin d’effacer l’illicéité qui entache leur origine;
  3. enfin, même si la loi de 2004 sur le blanchiment des capitaux sanctionne les produits de l’infraction en l’occurrence les revenus locatifs, les produits de vente immobilière ou les saisies exécution immobilière, faut-il encore constater que les tiers propriétaires immobiliers, en l’espèce sous examen, n’ont pas été mis en cause de sorte qu’ils sont étrangers au procès. Cette violation de la loi en son article 14 du Code pénal L. I recoupe celle de l’article 87 du Code de procédure pénale où le juge a omis, non seulement, d’identifier les comptes bancaires des condamnés, mais aussi, de ventiler avec exactitude les fonds y logés d’origine frauduleuse. Cette insuffisance de motivation équivaut à l’absence de motivation.

Au regard de ce qui précède, nous sommes d’avis que le principe constitutionnel consacrant l’individualisation des peines répressives ainsi que celui de l’interdiction formelle de toute condamnation sans y être mis en cause sont violés, et ne peuvent y donner des suites positives (H. De Page, Traité élémentaire de droit civil belge, t. VI, no 758, B, p. 699; G. Mineur Commentaire du code pénal congolais, 2ième édition, Larcier, Bruxelles, 1953, p. 49; Esika Makombo eso Bina, Code pénal zaïrois annoté, t. I, L’shi, 1977, no 128 pp. 148 et 149).

3. De la condamnation de sieur Samih Jammal , à titre personnel, aux dommages et intérêts et frais au mépris du principe de responsabilité civile du fait d’autrui

Le Tribunal de Grande Instance de Kinshasa-Gombe reconnait expressément dans le jugement entrepris que le prévenu Samih Jammal a agi au nom et pour le compte des deux personnes morales de droit privé: SAMIBO et HUSMAL, toutes deux SA. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, il condamne ledit prévenu aux dommages et intérêts et aux frais, à titre personnel, en faveur de l’ Etat congolais sans que les deux personnes morales de droit privé soient citées à comparaître devant le juge. En droit, cette responsabilité civile aurait dû s’inscrire dans les prévisions des articles 53 et 54 du Code de procédure pénale, 260 alinéas 3 du Code civil L. III portant responsabilité du commettant. A cet égard, la condamnation du prévenu aurait dû être in solidum avec les deux Entreprises  préservant la condamnation de son patrimoine personnel garant de ses créanciers. Tel est l’enseignement de jurisprudence de la Cour suprême de justice dans l’affaire d’opération illicite de change ayant opposé ministère public, République du Zaïre et Banque nationale du Zaîre à la SOCOBANQUE. et consorts. Le gérant statutaire et la Banque SOCOBANQUE, en sa qualité de civilement responsable, ont été appelés à comparaître devant le juge (C. S. J,  13 août 1971, R. J. Z, 1972, p. 121).

Conclusion

L’examen de l’affaire V. Kamerhe et crts a démontré, d’une part, la forme grave de dysfonctionnement dans la gestion de la chose publique par le pouvoir exécutif. Le ministre des Finances a obéi à un ordre manifestement illégal tout en sachant que ce programme des 100 jours n’a jamais été avalisé par le Parlement, autorité budgétaire. Et que le recours aux avances consenties, par de la Banque centrale tel que proposé pour assurer le paiement des dépenses en urgence, est en violation de l’article 16 de la loi sur les finances publiques. La Banque centrale n’a nullement pour mission de financer le Gouvernement Central, et le Parlement s’est dérobé, en vertu de l’article 100 de la Constitution, à sa mission de contrôle du gouvernement et des services publics. Et d’autre part, les juges y apparaissent comme des justiciers et bourreaux agissant au nom du politique, et les avocats comme les paravents de leurs clients sans un apport constructif dans la défense. Alors que leur mission première, noble et délicate, de dire le droit ou d’assurer la défense des intérêts des tiers, est plutôt celle qui rentre dans les prévisions du droit à un procès équitable : une bonne justice

C’est pourquoi, coupant court à toutes ces supputations, nous avons la ferme conviction que l’irrégularité de la saisine en procédure de blanchiment des capitaux ainsi que celle de la compétence personnelle du juge telle que sus décrite en appelle, en toute pertinence, à l’annulation pure et simple du jugement entrepris sans évocation en vertu de  l’article 107 du Code de procédure pénale. Le ministère public s’obligerait, toutes affaires cessantes, à revoir la copie de son acte d’accusation devant être introduit à la Cour d’appel de Kinshasa-Gombe siégeant en premier ressort  et ce, dans le strict respect des règles de procédure en vigueur (J. P Kilenda Kakengi Basila, op. cit, pp. 163 et 164; L.Lukusa, Note d’observation sous Trib. 1ière Inst, L.’shi, 17 avril 1967, R. J. C, 1968, p. 274; C. A. Kis, 23 juin 1970, R. J. C, 1970, p. 276; C. A. Kis, 23 juin 1972, R. J. Z, 1974, p. 46; C. S. J, RP8,  03 juin 1970, R. J. C, 1971, p. 22; C. S.J, RPA 4, 22 juin 1972, Bull, 1973, p. 94; C. S. J, RPA 5, 22 juin 1972, Bull, 1973, p101; C. S. J, RP 250, 28 octobre 1980, in Dibunda Kabuinji, op. cit, no 5, p. 83).

Richard Tony Ipala Ndue-Nka,
Directeur juridique honoraire à la GECAMINES-Bruxelles,
Membre du Comité scientifique de la Revue de Droit Africain à Bruxelles,
Conseiller honoraire à la Cour d’appel de Matadi

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