Quelle mouche a pu piquer les députés nationaux Aubin Minaku et Garry Sakata pour initier – en plein état d’urgence – trois propositions de lois unanimement condamnées pour leur caractère anticonstitutionnel. Le vent d’indépendance qui souffle au sein de la magistrature fait frémir. Ces trois textes ont pour finalité de conférer au ministre de la Justice un statut de « super procureur général ». En plus de son « pouvoir d’injonction positive » sur les magistrats des parquets, le ministre ayant en charge la Justice se voit octroyer le pouvoir d’intervenir dans les affaires en cours d’instruction. Pire, il peut exercer le pouvoir disciplinaire en se substituant au Conseil supérieur de la magistrature (CSM).
Coordonnateur de la mouvance kabiliste dite « Front commun pour le Congo » (FCC), Néhémie Mwilanya Wilondja s’est exprimé mercredi 24 juin pour fustiger les manifestations qui secouent les alentours du Palais du peuple depuis mardi. Sans oublier, des attaques des biens de certains cadres de ce regroupement.
On retiendra de la sortie médiatique de « Néhémie » au moins trois déclarations faites notamment dans l’interview accordée à la journaliste Sylvie Bongo via Facebook: « Nous n’allons pas retirer ces propositions de loi »; « Que dit le garant du fonctionnement régulier des institutions? »; « Qui est le garant de la sécurité des personnes et des biens? ». Mwilanya « blâme » en termes à peine voilés le président Felix Tshisekedi pour son « mutisme » face aux actes de violences imputées à des présumés militants de l’Union pour la démocratie et le progrès social. Le ministre Gilbert Kankonde en charge de l’Intérieur est également pointé du doigt. Il semble que l’unité de la police chargée d’assurer la protection des institutions est restée invisible.
Dans l’interview accordée à « Sylvie », l’ex-directeur de cabinet de « Joseph Kabila » semble avoir un regard fuyant. Sur la photo qui illustre ce « papier », l’homme a les paumes des deux mains tournées vers le ciel. Les amateurs de la communication non verbale ont du grain à moudre. « C’est une attitude de soumission de la part de quelqu’un qui implore, commente un expert en communication. On est d’abord vu, puis entendu avant d’être éventuellement compris ». Le Fcc serait-il dans les « cordes »? Les dirigeants de l’UDPS seraient mal inspirés de sous-estimer un adversaire aussi fourbe qu’imprévisible.
D’après des sources, la journée de mercredi 24 juin a été marquée par des attaques dirigées contre les biens immobiliers et mobiliers qui appartiendraient à Aubin Minaku ainsi qu’à Jean-Marie Kasamba, le patron de Télé 50. Une salle de fête – propriété d’André Kimbuta? – aurait été mise à sac. A Lubumbashi, des Congolais étaient vent debout contre les trois textes chahutés.
Au moment où ces lignes sont écrites, une information tombe. On apprend que les caciques du Pprd (Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie) ont tenu une réunion dans la soirée de mercredi. C’était sous la présidence d’Emmanuel Ramazani Shadary, le secrétaire permanent de cette formation politique. Celui-ci a vitupéré contre les attaques subies par les biens et résidences des cadres du Pprd avant d’annoncer ce message: « Si la coalition n’est plus utile, que nos partenaires du Cach le disent ouvertement et que l’on applique la cohabitation dans le respect de la Constitution ».
COMMENT EN EST-ON ARRIVE LÀ?
Les causes lointaines. Depuis la mise sur pied de la coalition Cach-Fcc – qualifiée de mariage contre-nature par les militants de l’UDPS -, on ne compte plus le nombre de bisbilles qui jalonnent cette « union » fondée plus sur les intérêts réciproques que sur « l’amour ».
Lors de son premier voyage à Washington en avril 2019, le successeur de « Joseph Kabila » n’est pas allé par quatre chemins en demandant à ses interlocuteurs américains de l’aider à « déboulonner » le « système dictatorial » en place.
En janvier 2020, « Fatshi » est en visite à Londres, au Royaume Uni. S’adressant aux membres de la diaspora congolaise présents, il dit que des ministres étiquetés Fcc rechignaient à exécuter ses instructions. Dans la foulée, il ajoute que d’aucuns le suspectent de vouloir dissoudre le Parlement. Et de tonner qu’il n’hésiterait pas à le faire si on l’y poussait. On connait la suite avec la sortie médiatique controversée de la présidente de l’Assemblée nationale Jeanine Mabunda qui avait osé insinuer que le chef de l’Etat pouvait être mis en accusation pour « haute trahison ».
Causes immédiates. Il y a d’un côté l’éviction, fin mai, de Jean-Marc Kabund-a- Kabund du poste de 1er vice-Président de l’Assemblée nationale. Ce « clash » pour le moins infamant pour l’Udps a laissé des plaies psychologiques non cicatrisées. C’est le moment choisi par les députés Aubin Minaku et Garry Sakata pour déposer leurs trois propositions de lois au Bureau de l’Assemblée. Celles-ci portent notamment modification de la loi organique relative au statut des magistrats. C’est la seconde cause immédiate.
QUE DISENT LES PROPOSITIONS DE LOIS MISES EN CAUSE?
A titre d’illustration, en parcourant l’exposé des motifs et quelques articles revus de la proposition de loi devant modifier le statut des magistrats, on peut lire notamment: « (…), il est logique que le ministre de la Justice – qui a la charge de la politique gouvernementale en matière pénale – donne des orientations et instructions aux parquets qui sont placés sous son autorité et exerce ses prérogatives corrélatives de contrôle, de sanction, de suivi de l’évolution des carrières et de gestion des avantages ». En termes moins savants, le ministre de la Justice pourrait à l’avenir non seulement continuer à disposer de son « pouvoir d’injonction positive » mais aussi de la faculté d’intervenir dans un dossier en cours d’instruction au parquet.
On peut lire également que le ministre de la Justice pourrait nommer des magistrats « à titre provisoire (…)« . Concurremment au Conseil supérieur de magistrature (CSM) qui gère la carrière des magistrats et la discipline au sein de ce grand corps de l’Etat, le ministre de la Justice sera doté « du pouvoir de constater tout manquement imputable à un ou plusieurs magistrats du ministère public près une juridiction de l’ordre judiciaire (…)« , de nommer en qualité de magistrats « à tout grade » certaines catégories de personnes.
Que dit la Constitution? L’article 82 énonce que c’est le Président de la République qui nomme, relève de leurs fonctions ou révoque « par ordonnance » les magistrats du siège et du parquet sur proposition du CSM. L’article 152, lui, stipule notamment que « le Conseil supérieur de la magistrature est l’organe de gestion du pouvoir judiciaire. (…). Il exerce le pouvoir disciplinaire sur les magistrats ». L’article 220 vient verrouiller cette armature: « La forme républicaine de l’Etat, le principe du suffrage universel, la forme représentative du gouvernement, le nombre et la durée des mandats du Président de la République, l’indépendance du pouvoir judiciaire, le pluralisme politique et syndical, ne peuvent faire l’objet d’aucune révision constitutionnelle ».
LES RÉACTIONS
Dans une déclaration faite mardi 24 juin, le président du Synamag (Syndicat national des magistrats), Edmond Isofa, a relevé le « caractère inconstitutionnel » de ces propositions de lois. Selon lui, on veut conférer au ministre de la Justice « un pouvoir que la Constitution ne lui donne pas ».
L’Envol de Delly Sessanga va plus loin: « Ces propositions consacrent l’inféodation et la caporalisation de la justice par l’exécutif du fait de l’immixtion du ministère de la Justice dans les prérogatives dévolues à l’appareil judiciaire (…) en instaurant une subordination du parquet, relégué au rang d’agents subalternes du ministre de la Justice et le légalisant l’instrumentalisation politique de la justice ». L’Envol d’appeler la nation « à la mobilisation pour défendre les acquis de notre démocratie (…)« .
Dans un communiqué, les quatre têtes d’affiche de la plateforme politique « Lamuka » notent que « ces trois propositions de lois tendent à faire des procureurs de la République des commissaires du gouvernement, donc des agents du ministre de la Justice au mépris de l’indépendance d’action des membres du parquet ». Signé par Jean-Pierre Bemba, Martin Fayulu, Moïse Katumbi et Adolphe Muzito, le texte « appelle le peuple congolais à se tenir prêt pour le mot d’ordre, comme c’est fut le cas en janvier 2015 contre la loi sur le recensement ».
La veille soit mardi 23 juin, le député national Felix Kabange Numbi prévenait l’Udps en ces termes: « Ce n’est pas parce que nous ne réagissons pas dans la rue que nous n’y avons pas des gens ». Le député Ferdinand Kambere d’enchaîner que « c’est vraiment malheureux. On vante trop l’Etat de droit, en même temps on ne veut pas que les députés puissent faire des propositions au niveau du Parlement ».
ET MAINTENANT!
La coalition Cach-Fcc fait face à sa crise la plus grave. Sur le plan psychologique, les deux camps fonctionnement désormais en « mode cohabitation ». Une cohabitation qui ne reste plus qu’à formaliser. Un paradoxe cependant: les durs du Fcc autant que ceux de l’Udps souhaitent tout sauf le « divorce ». Un divorce aux conséquences difficiles à évaluer pour tous.
Dans le cadre de la cohabitation envisagée par le Pprd, d’aucuns rêvent d’ores et déjà à une redistribution de cartes. Et pourquoi pas à la « grande réconciliation » entre « Fatshi » et ses ex-amis, néanmoins « frères », de Lamuka. L’AFDC-A de Modeste Bahati Lukwebo pourrait rejoindre ce « dream team ». Un vœu pieux?
Baudouin Amba Wetshi