Il a exercé un pouvoir absolu à la tête de l’Etat congolais du 20 décembre 2006 au 24 janvier 2019. Durant ce laps de temps, il s’accommodait parfaitement des lois organiques n°13/011, 06/20 et 08/013 portant respectivement organisation, fonctionnement et compétences des juridictions de l’ordre judiciaire, statut des magistrats et organisation et fonctionnement du conseil supérieur de la magistrature. Quelle est l’urgence ou la nécessité de réformer ces textes maintenant et pas hier lorsqu’il exerçait un pouvoir sans limites de nommer, de révoquer, de démettre d’office et de mettre à la retraite les magistrats tant du siège que du parquet. « Il », c’est « Joseph Kabila ».
« Joseph Kabila » a peur. Il a peur de la justice. Trois faits semblent expliquer cet état d’esprit. D’abord, un certain vent de renouveau – lent mais sûr – qui souffle au sein de l’appareil judiciaire depuis le changement intervenu le 24 janvier 2019 au sommet de l’Etat. Ensuite, les récentes interpellations des mandataires publics étiquetés Fcc/Ppprd suspectés de malversations de deniers publics dans le cadre du « Programme de 100 jours ». Enfin, la dénonciation des crimes commis sous la présidence de « Kabila ». Cette dénonciation a été déposée le 8 mai dernier au parquet général près la Cour constitutionnelle par l’évêque Pascal Mukuna, leader du mouvement « Eveil patriotique ».
Le député Aubin Minaku Ndjalandjoko et son collègue Garry Sakata Moke Tawab ont initié des propositions de loi portant sur les matières précitées. Ces « textes » se trouveraient depuis le 19 juin dernier à la commission politique, administrative et juridique de la chambre basse du Parlement pour « toilettage ».
Le « clan kabiliste » dit « Front commun pour le Congo » (Fcc), fonctionne à l’image d’une secte. Qui oserait faire attendre le « Grand prêtre Kabila »? Bien que symbolique pour le moment, la démarche pour le moins courageuse entreprise par Mukuna a mis l’ex-raïs dans tous ses états.
Magistrat de profession, Aubin Minaku a été président de l’Assemblée nationale de 2012 à 2019. Comment peut-il expliquer qu’il découvre maintenant la nécessité de « retoucher » ces véritables piliers qui soutiennent le pouvoir judiciaire? On pourrait poser la même question au député Sakata qui est docteur en droit.
Dans une interview accordée à Congo Indépendant début février 2011, ce juriste plaidait pour le renforcement de l’indépendance, l’amélioration des conditions de travail et la mobilité des magistrats. Sans omettre, l’amélioration des moyens de communication de ceux-ci.
RÉFORMES INOPPORTUNES
Selon des sources, les « réformes » en préparation en constituent nullement une « révolution ». Il s’agit plutôt d’une régression. L’objectif poursuivi est aux antipodes du renforcement de l’indépendance et des moyens d’action du pouvoir judiciaire.
On apprend que les initiateurs « rêvent » d’instituer la primauté du ministère de la Justice tant sur les magistrats du siège que du parquet. Il semble qu’à l’avenir, la présidence du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) devrait revenir au ministre de la Justice et non au président de la Cour constitutionnelle. « Le Conseil supérieur de la magistrature est l’organe de gestion du pouvoir judiciaire » (article 152-1 de la Constitution). Le CSM gère non seulement la carrière des magistrats mais aussi la discipline au sein de la magistrature.
D’aucuns s’interrogent sur l’opportunité de ces « réformes » que les partisans de « Kabila » – l’actuel ministre de la Justice, en tête – découvrent l’urgence et la nécessité dix-sept mois après le changement intervenu à la Présidence de la République. D’autres soutiennent que l’ex-Président de la République a peur de la bourrasque de l’Etat de droit qui se profile. Le député Tony Mwaba Kazadi (Udps) semble avoir choisi le second camp. Celui des « pourfendeurs » des « rectifications » envisagées.
Mwaba Kazadi justifie son opposition aux règles juridiques en préparation au fait notamment que le pouvoir disciplinaire exercé sur les magistrats devrait revenir au ministre de la Justice. Par ailleurs, en plus de son « pouvoir d’injonction positive », ce dernier pourrait intervenir au niveau d’un parquet pour faire remonter à son cabinet le dossier d’une affaire en cours d’instruction. Il pourrait ainsi faire interrompre l’information judiciaire au gré de ses foucades.
SOUVENIRS CAUCHEMARDESQUES
En dix-huit ans de présence à la tête de l’Etat congolais, « Joseph Kabila » a utilisé l’appareil judiciaire comme un rouleau compresseur qui lamine les têtes qui dépassent. Les Congolais gardent des souvenirs cauchemardesques de ces années. L’ex-Président n’a brillé que par ses ingérences despotiques. Quelques faits d’anthologie en témoignent.
Les Congolais ont encore frais en mémoire l’enlèvement en plein jour, le 15 mai dernier, du nommé Djibril Kabila Tuarik à la sortie de l’émission « Bosolo na Politik » sur la base d’une prétendue « plainte » envoyée quelques minutes auparavant via WhatAssap au général Sylvano Kasongo, patron de la police kinoise. L’expéditeur n’est autre que Théodore Mugalu, ancien chef de la maison civile de « Kabila ». Le « crime » de ce jeune homme est d’avoir déclaré qu’il était un des fils biologiques de Mzee Kabila mettant au défi d’autres « prétendants » à se soumettre à un test ADN.
Les Congolais ont également frais en mémoire le cas de la juge Chantale Ramazani Wazuri, ancienne présidente du Tribunal de paix de Lubumbashi/Kamalondo qui vit depuis le mois de juillet 2016 en exil en Europe. Dans une lettre datée du 25 juillet 2016 adressée au ministre de la Justice d’alors Alexis Thambwe Mwamba, cette magistrate dénonçait les pressions qu’elle était l’objet de la part non seulement du président de la Cour d’appel de Lubumbashi, du bâtonnier Ambroise Kamukiny mais aussi de Kalev Mutond, alors administrateur général de l’Agence nationale de renseignement (ANR). Ce « beau monde » exigeait d’elle la condamnation immédiate de l’ancien gouverneur du Katanga Moïse Katumbi dans le contentieux immobilier qui l’opposait au sujet grec Emmanouïl Alexandros Stoupis (RP 7652). Cette peine devait être assortie d’inéligibilité.
Pour la petite histoire, le 14 avril 2018, « Kabila » dont le second mandat avait expiré depuis le 19 décembre 2016 a signé une ordonnance portant « démission d’office » de plusieurs magistrats dont la juge Chantale Ramazani Wazuri, la victime d’un despote rendu fou par son omnipotence.
PRESSIONS POLITIQUES SUR LES JUGES
Sur le même dossier judiciaire, le juge Jacques Mbuyi Lukasu, président du tribunal de grande instance de Lubumbashi, a failli laisser sa peau. Et ce pour avoir résisté aux mêmes pressions politiques. Un commando composé d’hommes armés et cagoulés a investi son domicile. Criblé de balles, il sera évacué en Afrique du Sud. C’était en juillet 2017.
Le 15 avril dernier, le ministre de la Justice Célestin Tunda ya Kasende écrit au président du Conseil supérieur de la magistrature qui n’est autre que Benoît Lwamba Bindu, le président de la Cour constitutionnelle. Tunda lui fait part de son intention de visiter les parquets et les Cours et tribunaux de la ville-province de Kinshasa. Et de préciser qu’il souhaiterait à cette occasion avoir une « franche conversation sur les dossiers judiciaires en cours ». Le président du Conseil supérieur de la magistrature opposa un refus poli mais ferme en invoquant l’indépendance du pouvoir judiciaire. Tunda de fulminer: « L’indépendance du Pouvoir judiciaire n’est pas un mûr bâti pour créer en faveur des magistrats un cercle cloisonné qui n’aurait de compte à rendre à personne ».
Et si ceci expliquait le « complot » qui se trame contre la justice?
Baudouin Amba Wetshi