Les mauvaises habitudes ont la peau dure. La présidente de l’Assemblée nationale congolaise, Jeanine Mabunda Lioko, demande au gouvernement non seulement de réviser à la hausse le traitement mensuel des 500 députés nationaux mais aussi l’enveloppe allouée au fonctionnement de la Chambre basse du Parlement. Soixante ans après la proclamation de l’indépendance du Congo, les mentalités n’ont pas changé. Dans les années 60, un musicien congolais avait chanté, à raison d’ailleurs, « Député motu ya mbongo ». Traduction: « Député, un homme plein aux as ». Lors des travaux de la Conférence nationale souveraine (1991-1992), des voix s’étaient élevées pour exiger un « renouvellement du personnel politique ». Les « jeunes politiciens » reprochaient à leurs « aînés » de n’avoir qu’un seul souci: s’enrichir. En 1992, Jeanine Mabunda devait avoir 27 ans. Le miracle tarde à se produire.
Dans un ouvrage intitulé « Conflict in the Congo » publié par Thomas Kanza aux éditions Penguin books en 1972, cet ancien proche parmi les plus proches de l’ancien Premier ministre Patrice Lumumba rapporte notamment que la toute première réunion du Conseil des ministres du jeune Etat indépendant n’avait qu’un seul objet à l’ordre du jour: l’augmentation des traitements des membres de l’Exécutif.
Les députés de la première législature avaient fait de même en votant une loi – la toute première – révisant à la hausse leurs émoluments. Le professeur Crawford Young le rappelle dans son excellent ouvrage « Introduction à la politique congolaise » (Editions universitaires du Congo, 1965, p. 199). « (…), le Parlement se fit un tort immense en faisant passer comme première mesure législative le traitement des députés des 100.000 F prévus par la Loi fondamentale à 500.000 F, et cela malgré l’opposition de Lumumba ».
Ces deux récits concernent des situations qui remontent au mois de juillet 1960 soit quelques jours seulement après la proclamation de l’indépendance du pays intervenue le 30 juin de cette année. A l’époque, le jeune Etat indépendant souffrait d’un déficit de cadres issus de l’enseignement supérieur et universitaire. La majorité des politiciens d’alors était composée d’anciens « agents d’exécution » (clercs) de l’administration coloniale. Les « agents de collaboration » étaient rarissimes.
Ces anciens clercs ignoraient sans doute de bonne foi que le pouvoir d’Etat est avant tout un service à rendre à la collectivité. Et non, un privilège tant pour son détenteur que pour la famille biologique et politique de celui-ci. Soixante années après, rien n’a changé. Bien au contraire.
UNE BOULIMIE FINANCIÈRE
Dans une lettre n°RDC/AN/P/JML/BIP/05/370/2020 datée du 21 mai 2020, la présidente de l’Assemblée nationale Jeanine Mabunda demande au Premier ministre SyIvestre Ilunga Ilunkamba deux choses. Primo: un complément de rémunération de CDF 1.900.000.000,00 soit l’équivalent en Franc congolais de U$D 2.000,00 par député national. Secundo: une révision à la hausse de 50% de l’enveloppe allouée au fonctionnement de l’administration de cette Chambre du Parlement.
Quelle boulimie financière pour une institution où les « honorables » passent le clair de leur temps à somnoler et à ronfler quand ils ne sont pas occupés à s’invectiver pour des broutilles?
A combien s’élève le traitement mensuel d’un député congolais? Selon des sources parlementaires, il est question de 4.800 U$D. Pour le moment, le trésor public prévoit une enveloppe mensuelle de 4.800 U$D X 500 députés soit 2.400.000 U$D. Jeanine Mabunda demande un supplément 2.000 U$D X 500 = 1.000.000 U$D. Total général: 3.400.000 U$D. En contrepartie de quoi?
Mme Mabunda ne s’arrête pas là! Elle demande également une augmentation du budget de fonctionnement de la Chambre basse. Dieu seul la hauteur du montant alloué actuellement.
Au lendemain de l’apparition de la Covid-19, des voix se sont élevées pour exiger la réduction du train de vie des institutions publiques. Une occasion pour réhabiliter le secteur de la santé qui souffre d’un sous-équipement inqualifiable et d’un personnel tant médical que soignant sous-payé et démotivé.
L’apparition de cette pandémie a mis les Congolais, vivant aux quatre coins pays, face à une rude réalité. A savoir, la pénurie en eau courante et en électricité. Comment peut-on demander à la population de se laver constamment les mains face à cette carence?
« DÉPUTÉ MOTU YA MBONGO »
Sur les réseaux sociaux, l’activiste Carbone Beni du mouvement citoyen « Filimbi » a posté vendredi 13 juin une vidéo dans laquelle il exhorte les Congolais « à se réveiller » face à des politiciens qui ne pensent qu’à eux-mêmes ainsi qu’à leur famille biologique ou politique. Une allusion notamment aux récentes nominations dans les entreprises du portefeuille. « Nous avons tort de penser qu’ils {les politiciens} sont au service de nos intérêts ». « Carbone » de s’interroger sur la manière dont l’Etat est gouverné pendant que les membres de la force publique (police, armée), les médecins et les enseignants croupissent dans une misère sans nom.
La démarche entreprise par la Présidente de l’Assemblée nationale est choquante autant qu’indécente de la part d’une personnalité qui a eu à assumer des fonctions tant au niveau gouvernemental que des entreprises publiques.
Jeanine Mabunda a été successivement conseillère au cabinet du gouverneur de la Banque centrale, administrateur délégué général du FPI (Fonds de promotion industrielle), ministre du Portefeuille et conseillère spéciale du président « Joseph Kabila » en matière de Lutte contre les violences sexuelles et le recrutement d’enfants dans les groupes armés. Des positions qui auraient pu rendre cette dame sensible à la précarité dans laquelle vit la grande majorité de la population. Hélas, non!
Soixante ans après la proclamation de l’indépendance de leur pays, les politiciens congolais, jeunes ou moins jeunes, ne pensent qu’à « manger ». Ils n’ont toujours pas compris le sens du mandat qui leur est confié de diriger la nation. Ils ont vaguement entendu parler de « l’intérêt général ».
Agée de 55 ans, détentrice d’une licence en droit et une licence spéciale en science commerciale, l’actuelle Présidente de l’Assemblée nationale a commis une faute en menant une démarche aussi antisociale. Une démarche qui loin d’être différente de celle des parlementaires de la première législature (1960-1965). Ceux-ci étaient, dans leur grande majorité, dotés d’une formation « sommaire » qui limitait leur sens de l’Etat. Ils n’avaient qu’un rêve: celui « d’être plein aux as ». Le fameux « Député, motu ya mbongo ».
Devrait-on désespérer du trop plein d’universitaires? On n’est pas sorti de l’auberge…
Baudouin Amba Wetshi