Le ministre congolais des Transports et voies de communication a-t-il induit le chef de l’Etat, le Sénat et le gouvernement « en erreur »? Lors de la réunion du conseil des ministres du vendredi 29 mai, le président Felix Tshisekedi a fait état de la condamnation du Congo-Kinshasa, par défaut, suite à une plainte d’Eximbank of China. Montant du litige: $ 555.364.446. Dans un tweet posté sur son compte, l’ambassadeur de Chine à Kinshasa, Zhu Jing, dément l’existence d’un contentieux entre Kinshasa et cette banque chinoise au sujet d’un prêt de $ 555.364.446 destiné à la construction de la nouvelle aérogare de Kinshasa/Ndjili et de la Loano à Lubumbashi.
Ancien ministre des Transports et voies de communication, le sénateur José Makila Sumanda (Fcc) sait de quoi il parle. Il a proposé, vendredi 5 juin, la mise sur pied d’une « commission d’enquête » devant se pencher sur l’état d’avancement des travaux de construction de la nouvelle aérogare à Kinshasa/Ndjili. C’est la conclusion de la « question orale » adressée, en date du 26 mai, au ministre des Transports et Voies de communication, Didier Manzenga Mukanzu.
Selon Makila qui serait resté sur sa faim après le débat, outre l’évolution des travaux, la dite commission devrait examiner également la destination donnée à la somme de $ 20 millions versée par l’Etat congolais et l’utilisation de la quote-part de l’Eximbank of China soit 85% de l’investissement.
Lors de la réunion du conseil des ministres du vendredi 29 mai, le chef de l’Etat a relevé, dans sa communication, deux contentieux dans lesquels le pays a fait l’objet de condamnation par défaut « au paiement de fortes sommes d’argent » en faveur notamment d’Eximbank of China.
Au cours ladite réunion du Conseil, le ministre Manzenga a déclaré que le prêt contracté auprès de cette banque chinoise s’élèverait à $ 555.364.446. Selon lui, cet emprunt sera remboursé avec 90% des recettes à réaliser par la taxe aéroportuaire dite « Go pass » pour les exercices 2021 à 2023.
« AÉROGARE INTELLIGENTE ET HAUTE DÉFINITION »
Tout a commencé le mercredi 2 mai 2018. « Joseph Kabila » dont le deuxième mandat a expiré le 19 décembre 2016 s’accroche au pouvoir. L’homme multiplie des projets pharaoniques à Kalemie et à Kinshasa. Dans la capitale, il est allé poser la première pierre des travaux de construction de la nouvelle aérogare de l’aéroport de Ndjili.
Ministre des Transports et voies de communication à l’époque, José Makila Sumanda a, dans un discours laudatif, déployé des talents d’éloquence. Il a rendu un « vibrant hommage » à « Kabila » qui, « dans sa vision éclairée », a pris la résolution de doter le pays « des infrastructures modernes répondant aux standards internationaux ».
Le ministre Makila de préciser que la construction de cette « aérogare intelligente et haute définition » est le résultat d’un partenariat entre l’ex-Zaïre et l’Eximbank of China. Coût global des travaux: $ 354 millions. La partie chinoise prendra en charge 85% de ce montant. L’Etat congolais, les 15% qui restent. A en croire l’orateur, le gouvernement congolais avait déjà versé sa quote-part.
Seulement voilà, deux années après le lancement solennel des travaux, la nouvelle aérogare dont la durée des travaux était estimée à 36 mois tarde à sortir de terre.
GAGER LE « GO PASS » DE 2021 A 2023
Le samedi 30 mai, se fondant sur la communication du président Felix Tshisekedi lors de la réunion du conseil des ministres tenue la veille, diverses sources rapportaient que le Congo-Kinshasa voudrait « négocier à l’amiable » le remboursement de la dette contractée notamment auprès de l’Eximbank soit plus d’un demi-million de dollar. Négocier quoi? Pour quel bien ou service reçu? Qu’en est-il advenu de la quote-part versée par l’Etat congolais? L’Eximbank s’était-elle acquitté de son obligation? Quelle est la destination prise par cet argent? Voilà autant des questions qui turlupinent les esprits.
La très active organisation non gouvernementale Acaj (Association congolaise pour l’accès à la Justice) que dirige Georges Kapiamba s’est engouffrée dans la brèche en qualifiant cette dette de « fictive ». Pour elle, il s’agit d’un subterfuge ayant pour but de distraire les ressources financières générées par le « Go pass ».
Dans un tweet publié samedi 6 juin, l’ambassadeur de Chine écrit notamment que l’Eximbank of China « n’a jamais porté plainte contre l’Etat congolais ni accordé ce prêt de 555.364.446 ». Et ce au motif que l’accord n’a pas encore été validé.
UN IMBROGLIO QUI « PUE » L’ARNAQUE
Réagissant au tweet attribué au diplomate chinois, l’Acaj persiste et signe que c’est l’actuel ministre des Transports, Didier Mazengu (Fcc), qui avait fait état de l’existence de cette dette. C’était lors sa première intervention devant le Sénat.
Étrangement, lors de son passage au Sénat, le vendredi 5 juin, sieur Mazengu s’est rétracté en déclarant sans sourciller que l’ « Eximbank of China n’a jamais accordé un prêt au gouvernement congolais ». Rejoignant l’ambassadeur de Chine, le ministre des Transports d’avouer l’existence d’un accord de prêt qui attend la ratification.
Le sénateur José Makila Sumanda a proposé l’institution d’une commission d’enquête. Les contre-pouvoirs que sont notamment la presse et les activistes de la société civile sont à l’écoute. Ils veillent au grain. On espère que cette commission aura à coeur non pas d’enterrer cet imbroglio qui « pue » l’arnaque mais de faire éclater la vérité.
En attendant, des questions restent sans réponses. Que dire des propos tenus par le même ministre Didier Mazengu le plus sérieusement du monde tant au conseil des ministres qu’au Sénat sur l’existence de la fameuse dette? D’où lui serait venue l’idée de gager les recettes du « Go pass » 2021 à 2023 pour le « remboursement » de ce prétendu emprunt? Incompétence? Tentative de détournement de l’argent public? Et si ce ministre n’était que le maillon d’une longue chaîne?
B.A.W.