L’affaire ministère public contre sieur Kamerhe et consorts poursuivis des chefs des détournements des deniers publics, de corruption et blanchiment d’argent devant le Tribunal de Grande Instance de Kinshasa-Gombe : saisine irrégulière ou incompétence de juge ?
L’affaire reprise en marge continue à défrayer la chronique judiciaire en RDC au point que les médias en ont fait leurs choux gras, non seulement, en raison de la qualité du principal accusé sieur Kamerhe, Directeur de Cabinet du Chef de l’ Etat, mais aussi, depuis 1986 année où la peine complémentaire de confiscation générale des biens meubles et immeubles, corporels et incorporels, divis et indivis est abrogée, les annales judiciaires n’ont presque plus enregistré des procès liés aux détournements des deniers publics ou privés au préjudice de l’ Etat. La dilapidation des fonds ou des biens de l’Etat est devenue monnaie courante au point que le commun des mortels la qualifie d’institution.
D’aucuns croient même que les dépositaires des biens publics notamment les fonctionnaires de l’Etat, les officiers publics ou toute personne chargée de service public prévus à l’article 145 du Code pénal L. II tel que modifié qui s’interdisent, par souci de moralité, de consacrer ces pratiques sont des laissés- pour-compte. L’on est, alors, en droit de se demander si la saga de Kamerhe n’est pas une nouvelle page de l’histoire judiciaire qui s’ouvre pour un Etat de droit.
Mais, par la présente, notre approche se penche essentiellement sur la problématique de la régularité de la saisine et de la compétence du Tribunal de Grande Instance de Kinshasa-Gombe siégeant au premier degré en matière répressive. Elle s’articule autour de deux points ci-après :
1.1. De la requête aux fins de fixation d’audience signée par le Procureur Général près la cour d’appel de Kinshasa-Matete.
En vertu de l’article 54 du Code de procédure pénale, il est disposé que pareille requête opère la saisine du tribunal par citation donnée au prévenu pour autant que le ministère public qui remplit les devoirs de son office auprès des juridictions dans son ressort, en vertu des articles 71 et 77 de la loi organique de 11 avril 2013 portant juridictions de l’ordre judiciaire, s’en acquitte dans le respect de l’exercice de l’action publique amorcée à la Cour d’appel près laquelle le Procureur Général est signataire de ladite requête.
En l’espèce examinée, cette condition de la territorialité de la part du ministère public fait défaut, non seulement, dans cette procédure de saisine de juge, mais aussi, dans l’enquête et instruction de l’affaire Kamerhe de résidence à la Commune de Kinshasa-Gombe, violant les dispositions de l’article 104 de la loi susmentionnée de 2013 qui dispose que la compétence territoriale de juge, en matière répressive, est sous conditions du lieu de l’infraction commise, ou de la résidence du prévenu et de celui où celui-ci aura été trouvé .
La doctrine et la jurisprudence affirment, en application de ces dispositions légales, que la compétence en matière pénale est toujours d’ordre public, et qu’il appartient au juge de vérifier, même d’office, s’il est légalement saisi. L’accord des parties ne peut, en aucun cas, proroger la compétence d’une juridiction pénale, et moins encore leur acquiescement. (A. Rubbens, « Le droit judiciaire congolais », t. III, Larcier, Bruxelles, 1965, no 87, p.112; Braas, » Précis de procédure pénale », édit, 1951, t. II, no 599 ; Bosly (H. D) et Vandermeersch (D), « Droit de la procédure pénale », 2ème édition, La charte, Brugge, 2001, p.857; C. A. Elis, 03 juillet 1965, R. J. C, 1966, p.38; C. A. L’shi, 12 juillet 1966, R. J. C, 1966, p.337 avec note de E. Lamy).
La Cour suprême de justice n’a-t -elle pas décrété, le 26 mars 1999, en circonstance presque analogue, la nullité absolue des citations à prévenus qui auraient pu la saisir, en ce que le magistrat signataire de la requête aux fins de fixation d’audience n’avait pas encore prêté serment car, le magistrat ne peut entrer en fonction qu’après avoir prêté serment et dès lors, les actes juridictionnels par lui accomplis avant sont radicalement nuls, en ce compris la requête aux fins de fixation d’audience qui constitue un acte juridictionnel attaché aux fonctions du ministère public. (C. S. J, RP, 041 CR, 26 mars 1999, Bull, 2003, p.465).
- 2. De la compétence personnelle du Tribunal de Grande Instance par rapport à la qualité de sieur Kamerhe, Directeur de Cabinet du Chef de l’Etat, poursuivi des faits infractionnels dans l’exercice de ses fonctions.
Le législateur, en son article 91 de la loi de 2013 sur les juridictions de l’ordre judiciaire susmentionnée, prescrit la prorogation de compétence en faveur des justiciables bénéficiaires de privilège de juridiction de comparaître en matière pénale au premier degré devant la Cour d’appel.
Il s’agit, entre autres, des membres de l’assemblée provinciale, les magistrats, les maires, les maires adjoints, les présidents des conseils urbains, les fonctionnaires des services publics de l’Etat et les dirigeants des Etablissements et Entreprises publiques revêtus au moins du grade de directeur ou du grade équivalent.
Les fonctions de Directeur de Cabinet du Chef de l’Etat est une activité destinée à satisfaire un besoin d’intérêt général du pays et partant, elles sont un service public (G. Cornu, » Dictionnaire juridique « , PUF, Paris, 2000, p.807). En cette qualité, sieur Kamerhe jouit d’un mandat public exprès faisant de lui un dépositaire. Il est rangé dans la catégorie de la personne chargée d’un service public dont question à l’article 145 du Code pénal L. II tel que modifié. (G. Mineur, » Commentaire du Code pénal congolais », 2ième édition, Larcier, Bruxelles, 1955, p.320; Cass, 05 décembre 1921, Pas, 1922, I, 89).
Faisant alors la transposition de grade dans la hiérarchie soit de la fonction publique soit du statut des agents des Etablissements et Entreprises publics, sieur Kamerhe est assimilé à un haut fonctionnaire ayant au moins rang de Directeur, et partant, il est justiciable de la Cour d’appel.
Tel est l’enseignement de la jurisprudence de la Cour suprême de justice dans son arrêt, du 07 avril 1970, dans l’affaire ayant opposé E. M. G à l’Auditeur Général près la cour militaire. (C. S. J, 07 avril 1970, R. J. C, 1970, p. 128).
Qu’à cela ne tienne, le législateur n’a-t-il pas fait de l’infraction de détournement des deniers publics ou privés, prévue à l’article 145 du Code pénal L.II tel que modifié, l’abus de confiance qualifié en raison de la qualité du prévenu qui peut être soit un fonctionnaire de l’Etat soit un officier public soit une personne chargée de service public. Cette qualité est, certes, l’un des éléments constitutifs de l’infraction de détournement des deniers publics ou privés. En l’espèce, elle résulte, ainsi donc, du mandat spécial en vertu duquel le chef de l’Etat a investi sieur Kamerhe compte tenu d’une part de la nécessité de parer au plus pressé aux difficultés que le pays traverse, et d’autre part, à l’absence notable d’un gouvernement responsable devant le parlement nouvellement élu. Au contenu de la légalité normale se trouve ainsi substituée une légalité d’exception que les circonstances consacrent en théorie de fonctionnaire de fait en droit administratif. La doctrine et la jurisprudence accréditent également cette thèse. (Général Likulia Bolongo, Droit pénal spécial zaïrois, t.I 2ème édition L.G.D.J, Paris, 1985, p.421 ; J.C. Venezia, Y.Gaudemet, A. de Laubadère, Traité de droit administratif, t. I, 14ème édition L.G.D.J, Paris, 1996, n°934 p. 671 ; C.S.J, 08 octobre 1969, R.J.C, 1970, p.7).
- Conclusion :
L’instruction et les poursuites judiciaires à charge de sieur Kamerhe et crts l’ont été par le ministère public territorialement incompétent, et partant, tous les actes de procédure accomplis par lui sont nuls et de nul effet y compris la requête aux fins de fixation d’audience. Il est de même de la détention préventive ordonnée par le tribunal de paix de Matete territorialement incompétent. La Cour d’appel de Lubumbashi s’y est déjà prononcée en ce qu’est incompétent tout tribunal répressif saisi d’une infraction pour laquelle il n’est pas territorialement compétent lorsqu’il est appelé à examiner la requête de mise en liberté (C. A. L’shi, 12 juillet 1966, R. J. C, 1966, p.337 avec note de E. Lamy).
Cette opinion jurisprudentielle rentre dans les prévisions des articles 10 et 28 du Code de procédure pénale. En effet, ils font obligation, d’une part, au ministère public qui reçoit une dénonciation, une plainte ou qui constate une infraction à charge d’un prévenu de la transmettre au procureur général compétent en la matière, et d’autre part, d’interroger l’inculpé et de le placer sous mandat d’arrêt provisoire à charge de le faire présenter dans les cinq jours devant le juge de détention préventive pour autant que celui-ci soit compétent.
Richard-Tony Ipala Ndue-Nka
Directeur juridique honoraire à la Gécamines Bruxelles, membre du comité de rédaction de la revue du droit africain à Bruxelles, Conseiller honoraire à la Cour d’Appel de Matadi et consultant juridique.
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